jeudi 29 octobre 2015

Le livre des Baltimore, Joël Dicker, éditions de Fallois, 2015, 476 pages.

     Le nombre de pages peut impressionner, mais ce roman se dévore!

     Marcus Goldman, l'écrivain de la famille que nous avions découvert dans La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (2012), poursuit le récit de ses aventures avec ses deux cousins. Le trio inséparable (ou presque) va connaître un Drame: c'est le narrateur qui le souligne ainsi avec une majuscule.
     Le présent de l'histoire est éclairé par les retours dans le passé sans que cela perturbe le fil de la narration. Le suspense est excellent pour les amateurs de ce type de roman qui n'est ni un thriller, ni un policier, mais qui possède une intrigue suffisamment bien construite pour avoir envie d'en poursuivre la lecture.
     J'avais lu des critiques sur ce livre et certains esprits chagrins considèrent que le style, et en particulier dans les dialogues, serait plat: certes, ce n'est pas de la" grande "littérature, mais un roman qui s'avère être un excellent divertissement: n'est-ce-pas un des possibles souhaits du lecteur?


Mémoire pour un avocat et autres récits, Mirbeau,1894, Flammarion, collection étonnantiss!mes

      Dans les nouvelles de ce recueil, Mirbeau se livre à une peinture noire du sexe féminin, représenté comme dominateur, insensible, cruel, avare. Le narrateur-personnage qui n'est sans doute pas l'auteur, est peu flatté car de son côté cet homme apparaît
faible, veule...
     Proche de Zola, Mirbeau est bien un écrivain réaliste; ses nouvelles d'une lecture aisée pourraient être proposées en lecture cursive dans une séquence de 2nde.

jeudi 22 octobre 2015

Une forêt d'arbres creux, Antoine Choplin, 2015, la fosse aux ours, 116 pages.

     Ce court roman retrace à petites touches le destin de Bedrich qui , fait prisonnier, est conduit à Terezin, en République Tchèque, en 1941, avec sa femme et leur petit enfant.
    Terezin est une ville ghetto et Bedrich est chargé avec d'autres de dessiner entre autres les plans du futur crématorium. Mais ce groupe se réunit également en cachette la nuit pour dessiner la sombre réalité de ce lieu et en laisser une trace.
     La narration se fait au présent ce qui rend très proches les différents personnages. La légèreté du trait rend supportable l'horreur mais l'évocation des événements suscite néanmoins une forte émotion chez le lecteur.
     La structure du roman est simple: une succession de petits chapitres avec un titre comme "la salle de dessin"(p.17), ou "le travail de la nuit" (p.49) ou encore "une affaire" (p.73), ceci comme autant de petites esquisses. La forme retenue par l'auteur évoque le trait de Bedrich sur le papier.
     L'intérêt du roman réside à la fois dans ce qui est rapporté d'authentique et dans le  traitement proposé par Antoine Choplin. Même s'il est dur, il s'agit d'un beau livre de cette rentrée littéraire.


 

jeudi 15 octobre 2015

Première personne du singulier, Patrice Franceschi, Goncourt de la nouvelle 2015, Points, 197 pages.

   Patrice Franceschi est aviateur, marin, cinéaste, baroudeur! mais il s'affirme aussi comme écrivain engagé: Mourir pour Kobané, le récit de deux années passées avec les Kurdes, le prouve aisément.

   Dans Première personne du singulier, il raconte en quatre nouvelles quatre destins étonnants, tous tragiques mais également épiques. Le style original de ces pages est étonnant et alerte, que ce soit dans les portraits des personnages comme celui du "second capitaine" pages 34-35 ou celui du lieutenant Vernaud page 75, ou dans ce que l'écrivain nous livre de son rapport à la littérature à travers les personnages: dans la deuxième nouvelle, "Vernaud appartenait à cette espèce d'hommes singuliers qui font commerce avec les morts en lisant les textes d'écrivains disparus depuis longtemps." (p.75); "tous il s'agit des écrivains) habitaient sa vieille maison familiale; on les avait accueillis année après année comme des visiteurs de marque ou des amis de longue date.[...] Enfant, il imaginait que tous ces morts se parlaient la nuit, une fois les hommes endormis." (p.85) ou bien, dans "Le naufrage du lieutenant Wells", la troisième nouvelle, la sœur du lieutenant déclare: "quand nous étions enfants, nous ne faisions que ça tous les deux: lire. Nos parents n'étaient pas très présents et nous avons tout appris dans les livres."(p.151).
   J'évoquerai aussi comme particulièrement intéressant le poids des images, des comparaisons ou des métaphores choisies comme celles du début de la nouvelle intitulé "Carrefour 54": "Dans le bourg de Jeanville dévasté par les bombes des Stukas allemands, les restes de l'armée du général Gouenne refluaient en désordre, et tous ces débris humains se cognaient les uns aux autres comme des morceaux de navire disloqués par la tempête; on aurait dit que chaque vague d'arrivants submergeait la précédente avant d'être engloutie par la suivante..." (p.73) Le tragique est également pathétique...

   Écrivain atypique (encore pourrait-on le rapprocher de Sylvain Tesson pour le côté tête brûlée), Patrice Franceschi possède un talent que l'on peut qualifier d'hugolien pour son écriture engagée, l'élan de son style et la force des images, mais ce talent est bien incarné dans notre XXIème siècle.

jeudi 8 octobre 2015

A la manière de Philippe Delerm, Faire un gâteau au chocolat...

     C'est toute une histoire, la recette du gâteau au chocolat! On doit d'abord choisir celle que l'on va cuisiner: celle de la grand-mère, ou celle de la meilleure amie, celle du magazine ou encore celle que l'on a déjà pratiquée cent fois! et que l'on maîtrise parfaitement.
       Ensuite on dispose les ingrédients nécessaires à l'élaboration de ce festin: chocolat noir, beurre, œufs, sucre, farine, et parfois, pour les plus raffinés, un peu de café, des amandes ou des noisettes en poudre.
      On rassemble les différents éléments dans une grande jatte et le plaisir des yeux consiste déjà à voir le mélange qui s'opère. Bien sûr, le chocolat domine, et les effluves du cacao fondu commencent à envahir la cuisine, alertant au passage les gourmands dont les papilles s'émeuvent.
      Vient parfois le moment délicat où il faut mêler-toujours avec souplesse mais fermeté- les blancs montés en neige avec la préparation.
       On peut respirer. La masse molle et brune repose dans la jatte, attendant d'être transvasée dans le moule qui lui conviendra. Il faut régler également avec précision le thermostat du four car l'on sait que la cuisson maîtrisée du gâteau permettra la perfection du dessert.Les petits gourmets traînent parfois, espérant, armés de petites cuillères, pouvoir lécher le plat.
        Le gâteau cuit, le cuisine embaume, il faut maintenant faire preuve de vigilance pour le sortir des entrailles du four dès qu'il sera temps, et ensuite s'émerveiller devant son apparence. On le transperce avec la lame d'un couteau pour vérifier son degré d'onctuosité. Si elle ressort un peu gluante, tant mieux! Il n'en sera que meilleur.
         La dernière étape délicate est celle du démoulage pendant lequel on  tremble à l'idée de fendre la croûte brune et d'altérer cette beauté ô combien éphémère, car il ne reste plus qu'à le déguster! Pour cela, les bonnes volontés ne manquent pas et ne chôment guère.
         Plus vite mangé qu'écrit?
            Pavé d'Annie à la croûte fendue, mais il n'en reste que la photo!
     

Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter sur terre, Philippe Delerm, Seuil, août 2015, 110 pages.

     Delerm égrène les petits bonheurs de la vie comme il l'avait déjà fait dans La première gorgée de bière. C'est à la fois charmant et irritant car l'auteur reprend des procédés largement utilisés dans ce premier recueil.
    Le lecteur remarquera l'emploi fréquent du pronom "on": "on est avec lui dans le bus" (p.11) ou "on bouge comme un ours"(p.13), au hasard page 66 "on voit tout le plaisir du pianiste" et enfin page 99 "on est toujours surpris". "On "me dira que ceci permet de s'identifier, le "on" rassemblant largement le "je" et le "vous"!
     De même, Delerm utilise souvent le verbe à l'infinitif seul ou en sujet, ou en complément: "nager toutes les transgressions, se perdre, s'abîmer, chercher infiniment, descendre." (p.82)
      Mais quelques passages délicieux à savourer me consolent d'avoir ouvert ce livre composé de petits chapitres de prose poétique (ou de poèmes en prose?). Le premier texte intitulé "Le mensonge de la pastèque" nous livre dans son premier paragraphe une délicieuse et dangereuse description de ce fruit saisonnier. J'ai apprécié  l'épilogue de "Tendre est la vie cruelle""Combien y a t-il de soirs encore pour s'étonner ainsi, reprendre lentement la marche en se tenant la main? Bientôt dire une bêtise, cela devient urgent." (p.110), manière nostalgique de nous interroger sur la façon dont nous gérons (ou pas!) le temps qui passe!
      C'est sans doute la qualité essentielle de Delerm que de savoir nous montrer toutes ces petites merveilles quotidiennes et de nous inciter à savoir les regarder à notre tour.

jeudi 1 octobre 2015

N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Paola Pigani, Liana Levi, 2013, 214 pages.

    Ce titre est un proverbe tzigane: " on n'entre pas impunément chez les manouches ni dans leur présent, ni dans leur mémoire[...]" Il existe en chacun de nous un lieu qui nous ressemble. Le leur semble éclaté à jamais."(p.14)

    Paola Pigani s'inspire pour écrire cette fiction romanesque d'une histoire vraie qui la touche de près puisque son frère a épousé une "manouche". Leur fille née en 1983 lui parlera un peu de son enfance nomade mais elle évoquera surtout la figure de sa grand-mère maternelle, Alexienne, prénommée Alba dans le roman.
    L'intrigue se situe en 1940. Alba a  alors quatorze ans. Sur autorité du préfet,la police française organise un convoi qui mènera Alba, sa famille et tous ceux qui vivaient avec eux du théâtre ambulant vers le camp des Alliers d'Angoulême, ce qui signifie enfermement, prison.
     Ce roman qui évoque les dures réalités de l'internement est écrit avec infiniment de sensibilité et un style mêlé de poésie et de prosaïsme "les enfants chapeautés de brisures de  bois." (p.35). Dans ce livre, la vie est plus forte que le désespoir ou la mort.
    Un beau roman, poignant et très touchant, mais sans tristesse...