jeudi 24 novembre 2016

Madeleine project Un reportage de Clara Beaudoux, 2016, éditions du sous-sol, 283 pages.

     D'abord dubitative ,ensuite étonnée, et enfin intriguée, j'ai finalement été séduite par ce "reportage" inhabituel.

    Clara Beaudoux est une jeune journaliste; elle emménage un jour dans un petit appartement où avait résidé une vieille dame pendant vingt ans. La dite "Madeleine" est morte une année avant le déménagement de Clara , ne laissant comme unique héritier qu'un filleul. L'appartement est vide, mais la cave est pleine!

     La journaliste se lance avec l'accord du filleul dans l'exploration de cette fameuse cave qui porte le  numéro 16: elle va rapidement et sans l'avoir prévu le moins du monde s'impliquer dans les découvertes des multiples objets du quotidien: après les avoir photographiés, elle va les "poster" sur Twitter tout au long de sa prospection.

 Deux éléments sont remarquables, tout d'abord l'attachement progressif de Clara envers cette dame qui aurait eu 100 ans en 2015 et qu'elle tutoie dans ces  messages, tentant d'élucider des petits mystères de vie comme page 50: "Il y a aussi le service à thé de Raymonde. C'est qui, Raymonde?"
 Mais ce qui est peut-être encore plus étonnant, c'est l'engouement des internautes pour tous ces petits riens. Clara Beaudoux nous en livre une explication: "Ces petits détails infimes, ces microsouvenirs, ces pétales séchés, ces crayons vieillis...Toute cette beauté du quotidien, qu'on oublie souvent de regarder, pouvait se révéler. Le fait que l'infime puisse ainsi toucher tant de personnes, m'a redonné un peu confiance en ce que nous sommes, en ce que nous pouvons aimer.Je me suis accrochée à cette idée.[...]
Son histoire devint une histoire entre eux, elle et moi." (p.134)

   Des correspondances s'établissent entre des remarques de Madeleine et les pensées de Clara: "Après les attentats, la phrase de Madeleine résonnait dans ma tête: "c'est réconfortant de s'aimer si bien, mon grand, surtout en ce moment."
Elle parlait de la Seconde Guerre mondiale, c'est ce que je ressentais en 2015." (page 142)

 Après les deux "saisons"va se poser pour notre auteur la question de savoir que faire de ce projet;en conclusion ce "feuilleton 2.0" ou tweet-documentaire" a été publié en un recueil-reportage, reproduisant la forme initiale des  tweets, comme autant de petites madeleines.
  Regardez la photo de la première de couverture, notre Madeleine ne manquait pas d'humour, notre journaliste non plus comme l'atteste le nom de sa maison d'édition!




jeudi 17 novembre 2016

Le carnet de Marceline Desbordes-Valmore, Lucie Desbordes, 2016, Barillat, 329 pages.

    Lucie Desbordes a choisi la forme du carnet pour nous raconter une partie de la vie de cette femme peu connue actuellement mais qui fut honorablement célébrée de son temps; contemporaine de Verlaine, Marceline a principalement écrit de la poésie, mais elle s'est essayée à de nombreuses formes littéraires, comme les contes, les contes pour enfants, la nouvelle, le roman... sauf le carnet, la forme du journal intime.

   J'ai cru au début de ma lecture que Lucie Desbordes s'était inspirée d'un carnet retrouvé: et non, il s'agit d'une production originale, bien maîtrisée, qui utilise bien sûr les procédés littéraires de l'époque romantique: une écriture expressive avec l'emploi de nombreuses exclamatives "Je l'ai laissé...ses bras autour de mon cou!Qu'il m'a fallu de courage et de force pour m'arracher à lui!" (p.100) ou, dans un tout autre domaine: "Chatterton (pièce d'Alfred de Vigny) vient d'être joué ici sans succès. Pourtant, quelle admirable chose! Quel coin du ciel que cette dernière création!" (p.135)

  Marceline ne correspond pas du tout à l'image que j'avais d'elle à travers les poèmes appris quand j'étais petite fille (je suis d'une génération qui la lisait encore!); c'est une femme éprouvée par la vie certes, car elle va perdre trois enfants très jeunes et elle aura la douleur d'enterrer ses deux filles, Inès et Ondine mortes à l'aube de leur vie adulte. Mais c'est une combative, une courageuse qui soutiendra son mari dans les épreuves. Elle aura des amants et elle souffrira de leurs infidélités.
 Cette poétesse a parfois des accents du Verlaine de Sagesse:
                     Vous ne rejetez pas la fleur qui n'est plus belle;
                     Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
                     Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
                     Non d'avoir rien vendu, mais d'avoir tout donné.

 J'ai lu dans le Magazine littéraire une appréciation très positive de ce premier roman de notre jeune Lucie Desbordes dont je suis heureuse de saluer le travail!


 Ceux qui ne connaissent pas ou peu Marceline Desbordes-Valmore auront le plaisir de lire de nombreux extraits de sa poésie et de pouvoir ainsi avoir une première approche de cet écrivain revisité.

jeudi 10 novembre 2016

La part des flammes, Gaëlle Nohant, 2015, éditions Héloïse d'Ormesson, Le livre de poche, 545 pages.

      1897: au Bazar de la Charité,  un incendie aussi gigantesque que soudain embrase le local où a lieu cette grande braderie destinée à soulager les "miséreux". Des dames de la haute société parisienne et des jeunes filles venues les aider dans cette oeuvre charitable vont mourir en grand nombre dans les flammes. Ceci appartient au réel.

     De ce roman passionnant émergent plusieurs personnages héroïques pour plusieurs raisons. Un seul a vraiment existé: la duchesse d'Alençon, sœur de "Sissi", qui périra dans le brasier. D'autres femmes imaginées par la romancière vont être gravement brûlées mais auront la vie sauve.Mais tous les personnages ne sont pas aussi altruistes ou généreux!!!

    Le rythme du roman est haletant et on a du mal à s'arracher à la lecture car on s'intéresse au sort de Violaine ou de Constance ou encore au cocher Joseph. Le contexte historique est fort bien dressé. Il est question d'une époque révolue, mais si la société a évolué, il n'en reste pas moins que les caractères et la nature humaine restent sensiblement les mêmes au XXI ème siècle.

  Il est parfois question des vers de  Verlaine et de Marceline Desbordes-Valmore: cela m'a amusée, car mon prochain article concerne cette poétesse et un tout nouveau roman écrit avec sensibilité sur elle: rendez-vous sur le blog la semaine prochaine!

  Ce livre a reçu le prix des lecteurs Le livre de Poche 2016.


J'ai eu la chance de rencontrer l'auteur: elle est très intéressante à écouter et j'attends avec impatience son prochain roman!

On a toujours besoin d'un rhinocéros chez soi, Shel Silverstein, 2015, Grasset jeunesse.

  Auteur américain de livres pour enfants, Shel Siverstein faisait partie des artistes possédant de multiples facettes:auteur d'album pour enfants, poète, acteur, réalisateur...Il m'amuse avec son humour un peu particulier et ce rhinocéros presque familier peut réjouir les petits et nous faire sourire.
  Son coup de crayon est sobre mais parlant: on est dans le noir et blanc, sauf sur la première de couverture.
  Amusant à partir de 3 ans


jeudi 3 novembre 2016

Les chaussures italiennes, Henning Mankell,2009, Seuil, Points, 373 pages.

    Les amateurs de romans policiers connaissent certainement cet écrivain suédois né en 1948 et décédé en octobre 2015 avant la parution d'un autre roman qui nous rappelle également l'art de chausser, Les bottes suédoises!

    L'essentiel  du roman se passe dans une île suédoise. Le narrateur-personnage, déjà âgé, s'est retiré dans cette demeure plus qu'isolée après un événement grave que nous apprendrons par la suite et qui a créé cette première rupture dans sa vie. Il vit donc seul avec vieux chien et vieux chat et n'a pour visite que celle du facteur de l'archipel. Il le reçoit toujours sur son ponton et personne ne pénètre dans sa maison qu'une fourmilière est en train de coloniser: s'agit-il d'une métaphore de son engluement?

  En quatre mouvements intitulés "La glace", "La forêt", "La mer", "Solstice d'hiver", sa vie va être bouleversée par des intrusions dans sa vie érémitique. Des apparitions vont l'obliger à sortir de cette solitude , sorties non choisies mais qui seront la source de profonds changements.

  Les relations entre les personnages sont vraies et puissantes à l'instar du paysage qui les entoure. La Suède est évoquée de manière sensible et poétique: "Je ne comprends pas comment personne ne s'aperçoit que nous avons dans ce pays des ressources naturelles fantastiques qui n'attendent que d'être exploitées. Qui vend le silence comme on vend le bois ou le fer?" (p. 140) ou, à propos des noms des îles ou des îlots, en particulier les îlots qu'on appelle Les Soupirs: "Quelquefois je me figure que les arbres murmurent, que les fleurs chuchotent, que les buissons fredonnent des mélodies mystérieuses et que les églantines, dans les crevasses derrière le pommier de ma grand-mère, font résonner des notes pures sur des instruments invisibles. Alors pourquoi des îlots ne soupireraient-ils pas?" (p.240)

  Le titre s'explique environ au milieu du roman, mais je le trouve néanmoins curieux.
  J'ai beaucoup aimé ce livre pudique, parfois lyrique, et qui se lit très vite!