jeudi 30 juin 2016

Maman a tort, Michel Bussi, 2015, Presses de la Cité, 509 pages.

    Depuis 2013, Michel Bussi est l'auteur de romans policiers français le plus lu. Professeur de géographie à l'université de Rouen,  il a la particularité de situer ses intrigues en Normandie, sauf le dernier en date qui se passe en Corse. (Je ne l'ai pas encore lu...)
    J'ai découvert Bussi avec Nymphéas noirs, excellent! et j'ai rédigé un article avec son polar N'oublier jamais sur ce blog que vous pouvez trouver dans les archives de  mai 2015.

  N'ayez pas peur des 509 pages! Ce livre se dévore et cette fiction située au Havre nous saisit: le héros est un petit garçon de trois ans, Malone, qui soutient à son institutrice que sa maman n'est pas sa maman... Intriguée, la jeune professeur va soumettre ce problème au psychologue scolaire, Vasile, qui va vite accorder crédit aux histoires invraisemblables racontées par le jeune garçon. Mais on a du mal à le croire jusqu'au jour où ...

  De nombreuses péripéties, de l'émotion, un suspense haletant jusqu'à la fin: tous les ingrédients sont là pour vous empêcher de dormir, vous qui aimez ce genre de livres!


La petite casserole d'Anatole, Isabelle Carrier, 2009, bilboquet.

 Anatole est un petit garçon "qui traîne toujours derrière lui sa petite casserole. Elle lui est tombée dessus un jour... on ne sait pas très bien pourquoi."

  Cet album relate en quelques pages très fraîches et très vraies le quotidien compliqué d'un petit garçon pas tout à fait comme les autres, et la difficulté qu'ont les autres à entrer en relation avec lui. Mais il suffit d' une personne "extraordinaire" pour qu'Anatole vive mieux avec son handicap, lui permettant de sortir de son isolement et rendant la petite casserole "plus discrète".

 En quelques mots très simples illustrés de dessins sobres et assez drôles, Isabelle Carrier apaise un jeune lecteur qui a pu rencontrer dans sa classe, dans son immeuble ou dans sa rue, un enfant qui a pu l'intriguer, l'étonner ou lui faire peur. Elle dédramatise le handicap tout en soulignant  que l'on peut améliorer la vie d'Anatole sans supprimer pour autant le fardeau qui encombre son existence.

  Un livre que l'on devrait trouver dans les maternelles, les médiathèques...
  Un grand merci à Brigitte qui me l'a fait découvrir!




jeudi 23 juin 2016

Vous n'aurez pas ma haine, Antoine Leiris, 2016, fayard, 139 pages.

   Antoine Leiris écrit après "Une nuit en barbarie" le récit chronologique à dater du 13 novembre 2016 des événements qui bouleversèrent sa vie et celle de son fils Melvil âgé alors de 18 mois. Il apprend par un coup de téléphone l'horreur du Bataclan. Commence alors l'horreur de l'attente puis l'horreur de la nouvelle: sa jeune femme, Hélène, est morte.

 C'est pour lui le début d' un chemin qui nous bouleverse: Antoine Leiris ne se laisse pas envahir par la haine ou la colère, mais il est tout entier investi dans un quotidien d'amour et de tendresse, attentif à Melvil malgré la douleur qui le submerge:

"Quelques hommes en colère ont fait entendre leur verdict à coups d'armes automatiques. Pour nous, ce sera la perpétuité." (p.23-24)
  Le 16 novembre, "Maison, déjeuner, change, pyjama, sieste, ordinateur. Les mots continuent d'arriver.Ils viennent d'eux-mêmes, pensés, pesés mais sans que j'aie à les convoquer. Ils s'imposent à moi, je n'ai plus qu'à les prendre.
  Je les ai choisis chacun, mariés ensemble, séparés parfois et, après quelques minutes dans la peau d'un entremetteur, la lettre est là: Vous n'aurez pas ma haine."

  Cette lettre qui se trouve aux pages 63 et 64 du livre s'adresse donc aux assassins de sa femme "vous êtes des âmes mortes", [...] Bien sûr je suis dévasté par le chagrin, je vous concède cette petite victoire, mais elle sera de courte durée. Je sais qu'elle nous accompagnera chaque jour et que nous nous retrouverons dans ce paradis des âmes libres auquel vous n'aurez jamais accès.
  [...]toute sa vie ce petit garçon vous fera l'affront d'être heureux et libre. Car non, vous n'aurez pas sa haine non plus."

 Cette lettre postée alors sur Facebook sera lue par des personnes dans le monde entier, toutes bouleversées par ce témoignage pudique et poignant. L'écriture au quotidien a peut-être joué le rôle d'une catharsis.



    On peut rapprocher ce livre de celui d'un médecin palestinien, le docteur Izzeldin Abuelaish ,qui perd trois de ses filles tuées par une roquette israélienne alors qu'à la télévision en direct de chez lui il parle de la situation à Gaza. Loin de se laisser guider par la haine ou la colère, il va mener un combat exemplaire pour la paix.  "Une indispensable leçon contre la haine et la vengeance;" (Elie Wiesel)

jeudi 16 juin 2016

Victor Hugo vient de mourir, Judith Perrignon, 2015, L'Iconoclaste, 247 pages.

        C'est curieux, ce choix de la romancière, de commencer un livre par les derniers jours du "personnage". Mais cela fonctionne: il s'agit d'un très grand homme du XIX ème siècle, aimé par les petits, craint par le pouvoir. Et le roman s'ouvre effectivement sur l'angoisse des politiques:"Ils ont peur déjà, le désordre vient si vite."

   La foule est sous les fenêtres du poète, venant aux nouvelles "Ils lèvent les yeux vers les fenêtres fermées où ils l'ont aperçu, déjà, debout, saluant, ils palpent l'absence, le silence, la mort qui oeuvre à l'intérieur et les laisse vivants, vaguement effarés, avec ou sans chapeau, avec ou sans rang, comme des personnages en quête d'auteur." (p.11)

   Plusieurs enjeux autour de cette mort annoncée: l'agonie est longue, mais l'Eglise aimerait pouvoir assister cet homme qui a refusé toute présence de prêtre. "Chacun tire le mourant pour le faire tomber de son côté" (p.31). Il décédera le 22 mai 1885.
   On envisage un enterrement au Panthéon, mais cela voudrait dire le séparer des membres de sa famille déjà disparus, entre autres sa chère fille Léopoldine morte noyée il y a si longtemps, de ses deux fils morts de maladie, de son frère, de sa mère, de son père. L'enterrement est prévu un lundi malgré les demandes pressantes et les lettres éplorées des "petits" qui travaillent ce jour-là. "Nous aurions voulu rendre les derniers hommages à celui que nous appelions notre Père à tous." (p.129)

   L'enterrement qui prend des figures de deuil national aura bien lieu un lundi:après exposition du corps devant l'Arc de Triomphe où deux millions de personnes sont venues se recueillir,  la foule se presse sur le passage du cortège, les balcons se louent à prix d'or, la moindre marche d'escabeau est prise d’assaut, on escalade les arbres pour les plus agiles. Anarchistes et révolutionnaires défilent également, mais la police a supprimé tous les drapeaux noirs ou rouges. L'un d'entre eux portait les vers d' Hugo, Le peuple a sa colère et le volcan sa lave qui dévaste d'abord et qui féconde après. Ce drapeau a disparu mystérieusement... Sur le trajet, le narrateur évoque les sentiments paradoxaux du peuple "ils avaient le cœur serré au passage du peuple, mais ensuite ils riaient, applaudissaient, on lisait sur les visages une joie à peine secrète, une joie funèbre [...]" (p.234)  "on fêta Hugo, cet acharné de l'abolition" (p.241)

   En effet, nous avons tous des exemples en tête des combats d'Hugo: contre la peine de mort, la misère à Paris, le travail des enfants, l'esclavage sous toutes ses formes...
  Merci à Hugo pour Gavroche, Fantine, Cosette, "l'homme qui rit" mais aussi Ruy Blas, Hernani, "le banni, le proscrit", et peut-être, plus touchant encore, pour les vers inspirés par le souvenir aimant de Léopoldine la fille bien-aimée du poète"Demain dès l'aube..."

  Figure nationale, Victor Hugo est ici restitué dans cette dimension de façon très documentée et vivante. Un livre intéressant pour tous.

exposition: "les Hugo, une famille d'artistes"

jeudi 9 juin 2016

"Les soleils mouillés de ces ciels brouillés", nouvelle, décembre 2014.


                                                                                  

         L’homme était parti de chez lui au petit matin de ce 24 juin 18.., même avant l’aube. Il semblait à la fois pressé et  nonchalant. Il était vêtu sobrement, coiffé d’un grand chapeau qui avait dû séjourner longtemps dehors, au soleil ou sous la pluie. Il portait un grand sac qui paraissait encombrant. On ne pouvait deviner ce qu’il transportait, car ce sac était informe. Ce promeneur, –solitaire compte-tenu de l’heure extrêmement matinale-, marchait sur un sentier, sorte de petite promenade qui jouxtait la grande Creuse. La rivière était encore sombre,  le vert de son eau  profonde  se chargeait de gris. L’homme y jetait des coups d’œil rapides, cherchant on ne sait quelle apparition d’ondine ou de créature mystérieuse de l’aurore. Des lambeaux de brouillards s’effilochaient sur les haies. La rosée perlait sur les feuilles et tout l’univers baignait dans une atmosphère humide. Les parfums étaient encore ténus.

     Le sentier bifurquait à angle droit et quittait alors le cours de la Creuse pour se perdre dans les prés encore marqués par toute cette fraîcheur. Le marcheur ralentit  son allure, sembla hésiter à poser son fardeau : il jetait toujours ces étranges coups d’œil tout autour de lui mais  poursuivit son chemin. Un œil extérieur l’aurait jugé pressé, rapide, déterminé sans   être hâtif.  On apercevait au loin un petit pont en pierres qui marquait l’horizon d’une ligne courbe et dominait la rivière. Le sentier devait y conduire après quelques détours. Ce pont pouvait être le but de notre promeneur.

    Les rayons du soleil commençaient à poindre à travers la brume matinale, laissant comme des doigts de fée sur leur passage. Le promeneur levait la tête, dressant l’oreille,  guettant on ne savait quel bruit … Il changea son sac d’épaule, frotta l’épaule blessée, et hésita à poursuivre. Ce sac devait être lourd et il était vraiment volumineux, avec des formes bizarres. Des bruits lointains se faisaient entendre maintenant, évoquant la reprise de l’activité humaine et animale : chants des oiseaux, voix s’interpellant, essieux grinçants… tout cela ne troublait pas néanmoins notre marcheur promeneur qui était absorbé par la contemplation de la rivière et de ce qui l’entourait.

  Le sentier longeait à nouveau  la rivière et l’homme qui avait repris son sac sur l’épaule, intéressé par la masse d’eau sombre, avait quitté le chemin de terre pour se diriger vers la rive. L’eau reflétait mollement les premiers rais de lumière et prenait des teintes changeantes, semblant rouler des secrets d’éternité ; elle n’était plus verte, ni grise, mais brune,  très foncée avec des accents rougeâtres comme les talus qui l’encadraient de toute leur hauteur ; elle impressionne par le courant fort à ce niveau ; le pont semble à portée de main à présent et sa masse sombre donne une dimension tourmentée au paysage. Sous le pont coule la rivière,  l’homme semble enfin avoir trouvé le but de sa quête et il s’apprête à poser son sac.

  C’est alors que des voix se rapprochent, il paraît contrarié mais pas inquiet : deux voix se répondent, l’une jeune, enfantine, l’autre plus grave et posée. Les passants arrivent, ils vont se croiser dans peu de temps.
  Alors l’homme pose résolument son sac et attend : au détour du chemin, il voit arriver une petite fille qui danse en marchant et un homme âgé lui donnant la main. L’homme âgé eut un sursaut de frayeur en apercevant la silhouette, reprit ses esprits et lança :

-         -   Bonjour, Monsieur Monet !

jeudi 2 juin 2016

Maligne, Noémie Caillault, janvier 2016, Payot, 94 pages.

      Il ne s'agit pas d'un roman, mais d'un  témoignage écrit par une jeune femme  après la découverte à 27 ans d'une tumeur de six centimètres dans le sein gauche... Elle nous rapporte les faits de manière chronologique, mais ce qui sauve( ! )son sujet, c'est qu'il soit traité avec beaucoup d'humour:

      "On va vous faire une échographie et non une mammographie: on n'envoie pas des rayons pour rien, mademoiselle, vous êtes trop jeune!!!
Donc, échographie. Il m'apporte les résultats. A priori, il n'y a rien d'inquiétant. Je respire. Mais...
      - Vous avez les seins denses, on ne voit pas très bien, on va vous faire une petite mammographie quand même.
      Ah? Il y a encore dix minutes j'étais trop jeune. C'est fou comme on vieillit vite, dans un hôpital!" (p.13)

      Vous avez dû repérer que le style est alerte, rapide: Noémie Caillault en a fait un spectacle qu'elle a joué pour la première fois au printemps 2015. Je ne sais pas comment elle a traité le personnage de sa mère, mais dans ce livre, elle est bien épinglée! C'est assez drôle au demeurant. Je vous renvoie au dialogue de la page 45 juste avant la première chimio. Ou, lorsque sa fille commence à perdre ses cheveux..
  "Mon petit frère arrive, il voit la mèche sur la table, il lâche son portable tout neuf...mort!
  - Manquait plus que ça! s'écrie ma mère. Entre ta sœur qui perd ses cheveux et toi qui pètes ton portable, ah, je suis gâtée avec vous!" (p.51)

   Noémie dialogue avec sa petite voix intérieure prénommée Max qui la soutient... ainsi que quelques amis, ceux qui n'ont pas eu peur de la maladie et de la malade...

  Cette jeune femme, jolie comme un cœur, que j'ai découverte lors de l'émission La Grande Librairie du jeudi 10 mai, est maintenant apparemment guérie. On lui souhaite de poursuivre sa carrière de comédienne avec succès, la même fraîcheur et le même appétit de vivre! Ce n'est néanmoins sans doute pas la révélation d'un grand écrivain: vous l'avez compris, l'intérêt est ailleurs.