jeudi 9 juin 2016

"Les soleils mouillés de ces ciels brouillés", nouvelle, décembre 2014.


                                                                                  

         L’homme était parti de chez lui au petit matin de ce 24 juin 18.., même avant l’aube. Il semblait à la fois pressé et  nonchalant. Il était vêtu sobrement, coiffé d’un grand chapeau qui avait dû séjourner longtemps dehors, au soleil ou sous la pluie. Il portait un grand sac qui paraissait encombrant. On ne pouvait deviner ce qu’il transportait, car ce sac était informe. Ce promeneur, –solitaire compte-tenu de l’heure extrêmement matinale-, marchait sur un sentier, sorte de petite promenade qui jouxtait la grande Creuse. La rivière était encore sombre,  le vert de son eau  profonde  se chargeait de gris. L’homme y jetait des coups d’œil rapides, cherchant on ne sait quelle apparition d’ondine ou de créature mystérieuse de l’aurore. Des lambeaux de brouillards s’effilochaient sur les haies. La rosée perlait sur les feuilles et tout l’univers baignait dans une atmosphère humide. Les parfums étaient encore ténus.

     Le sentier bifurquait à angle droit et quittait alors le cours de la Creuse pour se perdre dans les prés encore marqués par toute cette fraîcheur. Le marcheur ralentit  son allure, sembla hésiter à poser son fardeau : il jetait toujours ces étranges coups d’œil tout autour de lui mais  poursuivit son chemin. Un œil extérieur l’aurait jugé pressé, rapide, déterminé sans   être hâtif.  On apercevait au loin un petit pont en pierres qui marquait l’horizon d’une ligne courbe et dominait la rivière. Le sentier devait y conduire après quelques détours. Ce pont pouvait être le but de notre promeneur.

    Les rayons du soleil commençaient à poindre à travers la brume matinale, laissant comme des doigts de fée sur leur passage. Le promeneur levait la tête, dressant l’oreille,  guettant on ne savait quel bruit … Il changea son sac d’épaule, frotta l’épaule blessée, et hésita à poursuivre. Ce sac devait être lourd et il était vraiment volumineux, avec des formes bizarres. Des bruits lointains se faisaient entendre maintenant, évoquant la reprise de l’activité humaine et animale : chants des oiseaux, voix s’interpellant, essieux grinçants… tout cela ne troublait pas néanmoins notre marcheur promeneur qui était absorbé par la contemplation de la rivière et de ce qui l’entourait.

  Le sentier longeait à nouveau  la rivière et l’homme qui avait repris son sac sur l’épaule, intéressé par la masse d’eau sombre, avait quitté le chemin de terre pour se diriger vers la rive. L’eau reflétait mollement les premiers rais de lumière et prenait des teintes changeantes, semblant rouler des secrets d’éternité ; elle n’était plus verte, ni grise, mais brune,  très foncée avec des accents rougeâtres comme les talus qui l’encadraient de toute leur hauteur ; elle impressionne par le courant fort à ce niveau ; le pont semble à portée de main à présent et sa masse sombre donne une dimension tourmentée au paysage. Sous le pont coule la rivière,  l’homme semble enfin avoir trouvé le but de sa quête et il s’apprête à poser son sac.

  C’est alors que des voix se rapprochent, il paraît contrarié mais pas inquiet : deux voix se répondent, l’une jeune, enfantine, l’autre plus grave et posée. Les passants arrivent, ils vont se croiser dans peu de temps.
  Alors l’homme pose résolument son sac et attend : au détour du chemin, il voit arriver une petite fille qui danse en marchant et un homme âgé lui donnant la main. L’homme âgé eut un sursaut de frayeur en apercevant la silhouette, reprit ses esprits et lança :

-         -   Bonjour, Monsieur Monet !

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