jeudi 22 février 2018

Le roman d'Ulysse, Simone Bertière, éditions de Fallois, 2017, 256 pages.

  Simone Bertière est professeur agrégée de lettres classiques et a écrit de nombreuses biographies après avoir été maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3.

  Dans la postface de son roman d'Ulysse, elle écrit qu'elle souhaite simplement offrir au lecteur non helléniste le moyen de faire plus ample connaissance avec L'Odyssée sous une forme renouvelée et attrayante.

  Elle imagine le retour d'Ulysse après la guerre de Troie et son errance de 10 ans, son arrivée à Ithaque; après avoir chassé avec vigueur les prétendants au trône, il s'installe à l'écart avec comme compagnie un jeune pâtre, Euphore. Celui-ci s'empare de la légende d'Ulysse et devient son aède. Ulysse lui raconte son périple et le jeune poète voit le parti qu'il peut  tirer de toutes ces aventures.

 Le côté sympathique d'Ulysse "l'homme aux mille ruses", c'est que le héros légendaire est un homme sous la plume de Simone Bertière: " Il ne se reconnaissait dans cette image trop simple, outrée, quasi caricaturale. Il se sentait lui, pétri de contradictions et il lui déplaisait de se voir érigé en modèle alors qu'il se rongeait de doutes." (page 228)

  Une réflexion pertinente et assez humoristique sur l'écriture est également le sujet de la conversation entre les deux hommes: l'écriture, c'est-à dire finalement la fin de la transmission orale, sera-t-elle la fin de l'épopée?

   " Tu veux notre mort, à nous les aèdes! notre oeuvre est une création continue; Aucun de nous ne chante deux fois le même poème. Du jour où nos œuvres seront écrites, c'en sera fini de notre art. Ne resteront que des rhapsodes déclamant un texte appris par cœur. Si brillants qu'ils soient, il leur manquera l'inspiration, le souffle du dieu quand il s'exprime par notre bouche." (page 200)

  Ce qui rend ce roman si actuel, c'est que les questions fondamentales sont abordées par Ulysse, pleinement homme. Il s'interroge sur l'amour, la mort, le pouvoir et sur le sens à donner à ce qui lui reste à vivre.


  Ce livre s'adresse à d'assez bons lecteurs qui n'auront pas de crainte à plonger dans l'univers antique et à se laisser charmer par les sirènes d'Ulysse.


jeudi 15 février 2018

Les Bourgeois, Alice Ferney, Actes Sud, 2017, 350 pages.

     Grande saga familiale, Les Bourgeois nous racontent la vie de personnages qui traversent l'Histoire, le Temps. Dix frères et sœurs nés entre 1920 et 1940 vivent, aiment, se marient, ont à leur tour des enfants, certains font la guerre, et meurent.Une narratrice, (l'auteur?) qui est un membre de la famille, se penche sur ses ancêtres et sur ceux qui sont en vie. Elle dispose bien sûr de la mémoire familiale, des récits de Claude, l'un des dix, (mon préféré), elle observe et décrit des photos familiales, imaginant les pensées et les sentiments de ceux qui apparaissent sur ces documents.

  Le récit commence le 9 novembre 2013 et s'achève le 5 avril 2015. Curieusement, le fil de la narration nous semblera chronologique mais il y a suffisamment d'allers et retours entre passé et présent pour que ce ne soit jamais ennuyeux, malgré la taille du roman.

  Les Bourgeois sont des représentants d'une famille aisée avec le style de vie qui correspond à une époque où il y avait du personnel de maison mais pendant laquelle les femmes mouraient souvent en couches. Ils réagissent comme on s'y attend vu leur éducation, mais des valeurs solides fondent cette famille. Les liens d'affection et de solidarité sont très intenses entre les frères et sœurs et la "tribu" se serre les coudes quand il y a des coups durs.

  A l'ère du féminisme à tout crin, la narratrice s'interroge sur la mère de famille, Mathilde qui "a mis au monde dix enfants. Sans doute a -t-elle été treize ou quatorze fois enceinte. Voilà qui nous semble ahurissant et même épouvantable (comme le nombre d'enfants qui mouraient dans toutes les familles). Ce qui fut une évidence pour Henri et Mathilde peut provoquer notre sidération et réciproquement ce qui nous parait naturel ne l'était pas forcément pour eux." Et, à la page suivante, notre narratrice de conclure: "Je regarde vers l’avenir, de nouveaux dangers se profilent, les technologies recèlent des aliénations. Je regarde vers le passé, je ne m'interdis pas d'imaginer Mathilde heureuse." (pages 78 et 79)

  Nous devrions écrire sur nos familles, car "la passé est derrière nos yeux, notre mémoire est nécessaire." Roman familial, il nous renvoie à nos racines et à ce qu'il pourrait être important de connaitre et de se souvenir, parce que cela nous constitue et que nous pouvons en transmettre une part.

Roman assez facile à lire; certaines amies lectrices m'ont dit avoir eu du mal à "entrer dans l'histoire". Peut-être faut-il se donner les 50 premières pages avant d'abandonner?

jeudi 8 février 2018

Et moi, je vis toujours, Jean d'Ormesson, Gallimard, 2018, 280 pages.

    Ce roman posthume de Jean d'Ormesson est éblouissant: vaste panorama de l'humanité -ce JE (le narrateur) la représente- qui nous montre dans un défilé rapide, une course haletante de moments précis de notre histoire, des personnages, hommes ou femmes, qui ont contribué dans un sens ou un autre à notre évolution, et même des anonymes qui constituent son essence  "Je suis l'espèce humaine et son histoire dans le temps" (page  42) "Je suis ceux dont personne ne s'occupe dans leur vie et dont personne ne se souvient après leur mort. Salut et fraternité." (page 268)

  Comment résumer un roman de notre d'Ormesson national? un défi! une gageure! Impossible!

  Je dirai qu'il fait preuve de son érudition, de sa culture que nous savions immense; nous entendons sa voix résonner parfois dans des choix qu'il opère "ces villes d'Italie d'une beauté à tomber, au  charme irrésistible et que j'ai tant aimées." (page 101); ou encore, page 122: "Vivre, pour moi, pour tous les moi où je me suis glissée les uns après les autres, c'était d'abord lire un livre."

  J'ai été particulièrement séduite (et c'est normal pour une prof de lettres!) par les pages sur notre 17ème siècle, sur son théâtre et en particulier sur Molière et Racine. et ce qu'il appelle le "miracle français". La fin du chapitre intitulé L'EUROPE FRANÇAISE nous en donne les clés:

  "Il reposait d'abord sur l'usage et le triomphe d'une langue qui allait devenir la langue de l'Europe et donner à la France, pour un siècle, et peut-être pour un peu plus, le premier rang dans le monde."...

  Mais l'évocation de l'Histoire est aussi l'évocation d'horreurs, comme la guerre, ou plutôt des guerres qui ont ensanglanté notre planète, les maladies qui nous ont endeuillés: "Et il y a de quoi pleurer" (page 228) Quel sens allons-nous pouvoir trouver à notre existence? " Tout passe, tout finit tout disparaît. et moi qui m'imaginais devoir vivre toujours, qu'est ce que je deviens? " (page 276)

  Réflexion sur la vie, sur la mort bien sûr, "Je passe, je dure, je coule avec le temps, j'édifie, je détruis- et de moi, comme de vous, un jour, plus ou moins loin, il ne restera rien." (page 276) et sur l'interrogation finale: et après? Jean d'Ormesson  se questionne sur l'existence de Dieu... sur lequel il estime impossible de parler "Ce dont on ne peut parler[...]il faut le taire"

  Et je pense que vous apprécierez la pirouette finale... Jean d'Ormesson, votre esprit, votre finesse  et votre élégance morale vont nous manquer!
💜 ce livre est d'une lecture relativement rapide; il faut simplement aimer le style d'Ormesson ou se laisser tenter!




jeudi 1 février 2018

Les loyautés, Delphine de Vigan, JC Lattès, 2018, 2016 pages.

      Roman choral, à quatre voix, qui nous happe du début jusqu'à la fin.

    Hélène, professeur de sciences, repère vite dans sa classe de cinquième, Théo, 12 ans et demi, à cause de son côté fragile, de ses yeux cernés que des veilles sur les écrans ne semblent pas suffire à expliquer. Elle le signale, mais il ne se passe pas grand chose, un vague signalement fait par l'infirmière scolaire,  il semble que les parents ne soient pas alertés. Hélène, elle, est particulièrement attentive aux souffrances de ses élèves à cause d'une enfance difficile et des mauvais traitements que lui a infligés son père.

  Théo, est la deuxième voix de ce roman: sa vie n'est pas simple effectivement. Ses parents sont divorcés, il vit suivant le principe de la garde alternée une semaine chez sa mère, une semaine chez son père. Le problème, c'est que son père a perdu son travail et petit à petit a sombré dans une déchéance sordide, obligeant Théo à de nombreux mensonges et surtout à trouver refuge dans l'alcool. Quant à sa mère, elle est tellement pleine de hargne envers son "ex" qu'elle n'a pas la capacité d'attention suffisante par rapport à son fils pour en voir les dysfonctionnements.

  Il découvre avec son copain Mathis l'évasion temporaire mais efficace que procure l'alcool." Un jour, il aimerait perdre conscience, totalement." (page 17). Vodka, rhum, gin, les alcools forts ne leur font pas peur, bien au contraire, mais leur procure une chaleur sans pareille.
  C'est Mathis le pourvoyeur (prélevant de l'argent dans le porte-monnaie de sa mère, réquisitionnant un grand frère de copain pour acheter les bouteilles...); Mathis n'aurait apparemment pas de problèmes familiaux, mais Cécile, sa mère, quatrième voix de la narration, vit mal l'évolution de son mari et de son couple.

  Les adultes ici sont si préoccupés par leurs soucis que les enfants dérivent -surtout Théo-. En effet, la mère de Mathis se méfie de Théo et tente d'interdire à son fils de le fréquenter... Mais rien ni personne ne retient Théo!

  En cinquième! et sous le nez des adultes! que ce soit au collège ou à la maison...
  Il faudra toute la finesse d'Hélène et l'amitié de Mathis... mais je ne peux dévoiler la fin de ce  récit qui m'a impressionnée.



 Le titre est curieux: "Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres, -aux morts comme aux vivants-, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l'écho, des fidélités silencieuses..." Les loyautés, ce pourrait être ce qui nous fait agir, les valeurs que nous portons au plus profond de nous-même.
  L'écriture est fluide, rapide. On perçoit toute l'empathie de l'écrivain, sa sensibilité, son amour des personnes ou à défaut des personnages.

  Roman d'une lecture aisée qui devrait conquérir plus particulièrement un public féminin.


💗💗

jeudi 25 janvier 2018

Un jour, tu raconteras cette histoire, Joyce Maynard, éditions Philippe Rey, 2017, 431 pages.

     Ce récit est ma première découverte de l'oeuvre de Joyce Maynard.  Je l'ai commencé en pensant lire un roman et je fus happée par la véracité et la justesse du ton.

     Sa vie n'est pas un long fleuve tranquille: son mariage est raté, elle tente d'adopter deux petites filles éthiopiennes, elle a quelques aventures après un divorce difficile (euphémisme?), et à 55 ans, ses enfants ayant quitté le nid, elle se retrouve très seule avec un sentiment d'échec profond.

  Elle va rencontre Jim, divorcé comme elle, ayant aussi trois enfants, et ils vont reconstruire leurs vies ensemble; ils sont alors capables de s'expliquer quand il y a des désaccords, et Jim lui offre de vivre "comme des touristes au pays de l'amour", une sorte de vie rêvée. Ils se marient en présence de nombreux amis et de tous leurs enfants: tout semble aller pour le mieux.

  La deuxième partie, intitulée APRES, est celle de la mauvaise nouvelle de l'annonce de la tumeur au pancréas découverte chez Jim."Comment décrire le moment où son univers s'effondre?" Ces minutes de l'annonce, la narratrice les revivra de nombreuses fois. " Je ne voulais pas que cela arrive, mais je n'y pouvais rien. Le lendemain, le surlendemain, les semaines, les mois qui suivirent-et sans doute cela m’arrivera-t-il des années encore, bien qu'il soit trop tôt pour le savoir-, je me repassais ces minutes dans la tête." (page 164)

  La narratrice nous emmène avec pudeur mais sincérité sur les chemins de la douleur physique et morale de Jim et de la sienne. Elle va déployer une énergie considérable pour trouver ce qui leur semble être les meilleurs médecins, les meilleurs traitements, les meilleurs médicaments. Les enfants atterrés vont les entourer du mieux qu'ils le peuvent. Elle va réaliser un jour que le mariage, c'est aussi cela, traverser ensemble les fleuves de l'épreuve :"L'histoire de Jim était devenue inséparable de la mienne. Quel que fût l'avenir qui nous attendait, Jim et moi le traverserions ensemble.Couchée à côté de lui une nuit, j'entendais les battements d'un cœur et ne savais pas auquel de nous il appartenait." (page 262)

  Jim mourut au milieu du mois de juin: il venait de fêter son 64 ème anniversaire, et il restait trois semaines avant leur troisième anniversaire de mariage. Et Joyce passera son été à écrire leur histoire, comme le lui avait prédit Jim avec tendresse.

  Ce récit est touchant et triste bien évidemment, mais il n'y a pas de pathos inutile. Peut-être a-t-il joué le rôle d'une catharsis pour notre narratrice?


jeudi 18 janvier 2018

Entre deux mondes, Olivier Norek, Michel Lafon, 2017, 414 pages.




  Rencontré l'an dernier lors de l'aventure du grand prix des lectrices de ELLE- je rappelle qu'Olivier Norek a été sélectionné en 2016 avec Surtensions pour la catégorie policier-, il promettait à ses lectrices enthousiastes un nouveau polar dans un tout autre univers.

   Ses premiers titres, Code 93, Territoires et Surtensions, se déroulent en grande partie dans ce département bien connu des services de police, le 93. Son dernier roman, Entre deux mondes, se passe tout d'abord en Syrie où nous découvrirons Adam, un des protagonistes de cette histoire. Ce début de roman est appelé FUIR.

    Le narrateur nous emmène ensuite à Calais, et c'est la deuxième partie intitulée ESPERER, que ce soit dans sa "Jungle" ou au commissariat, ou encore chez le lieutenant Bastien Miller, nouvellement installé dans cette ville avec sa femme dépressive et sa fille adolescente...

    Dans RESISTER, Adam et Bastien, le flic syrien et le flic français, vont se retrouver et unir leurs forces pour défendre un jeune garçon, "un petit Black qui s'est fait violer dans la Jungle."(p. 163) Les scènes décrites par Olivier Norek sont dures, mais il nous dit lui-même en prologue de son livre: "Face à la violence de la réalité, je n'ai pas osé inventer." L’écriture des romans de cet auteur est toujours empreinte de réalisme marqué d'authenticité. Ames trop sensibles, s'abstenir!

    L'intrigue nous tiendra en haleine jusqu'à l'épilogue: comment sauver Kilani, ce jeune Noir orphelin? Comment ne pas "sombrer" dans cet univers inhumain de haine et de violence? Comment "survivre?" Quelles solutions?...




jeudi 11 janvier 2018

Les Passeurs de livres de Daraya, Une bibliothèque secrète en Syrie, Delphine Minoui, Seuil, octobre 2017, 158 pages.



Delphine Minoui est grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient, Prix Albert Londres pour ses reportages en Irak et en Iran et parcourt le monde musulman depuis vingt ans. Elle vit actuellement à Istanbul.

 Elle découvre par hasard sur la page  Facebook "Humans of Syria" une photo étrange de "deux hommes de profil, entourés de murs de livres." La légende du cliché évoque une bibliothèque secrète à Daraya, banlieue rebelle de Damas, encerclée et bombardée depuis 2012 par les forces de Bachar al-Assad.

Sa curiosité de journaliste est éveillée et de relais en relais, elle va découvrir l'auteur de cette photo, Ahmad, 23 ans,l'un des cofondateurs de ce lieu. Elle va suivre alors le quotidien mouvementé de ces jeunes hommes qui ont compris l'importance des livres "pour sonder le passé occulté. Ils lisent pour s'instruire. Pour éviter la démence. Pour s'évader. Les livres, un exutoire." (page 28) "Ahmad et ses amis portent en eux cet instinct de survie par la culture." (page 30)

 Ils vont partager avec elle grâce à Skype ou WhatsApp (quand les réseaux le permettent )leur quotidien, leurs angoisses, mais aussi leur goûts littéraires et il faut absolument citer Mahmoud Darwich, poète palestinien décédé en 2008, qui, en particulier dans Etat de siège, avait déjà évoqué l'attente infernale des assiégés:

"Le siège, c'est attendre, 
  Attendre sur une échelle inclinée au milieu de la tempête." (page 118)

 Daraya finira par être détruite, les assiégés dispersés, les livres brûlés ou éparpillés au gré du vent, mais Ahmad garde un espoir "On peut détruire une ville, pas des idées." (page 145)

  Je termine actuellement un autre témoignage qui m' interpelle, celui du père Michaeel Najeeb, dominicain irakien, qui, ayant dû fuir Mossoul et la plaine de Ninive, réfugié à Qraqosh, y a sauvé des manuscrits et des hommes de toutes confessions: Sauver les livres et les hommes (paru en 2017 chez Grasset). Là aussi, le cri d'alarme est fort: comment ne l'entendons-nous pas?