jeudi 18 octobre 2018

La librairie d'Hélène a déménagé!

  Chers  lecteurs,

  Classement et nouvelle disposition des livres vous attendent sur mon nouveau blog à l'adresse suivante:

https://lalibrairiedhelene.wordpress.com/

  Vous y retrouverez, facilement j'espère, tous les articles que vous avez vus... ou lus...
  N'hésitez pas à vous abonner, à me laisser des commentaires: tout cela devrait être plus facile!
  Bonne promenade ,

  Hélène

jeudi 11 octobre 2018

Chien-Loup, Serge Joncour, rentrée littéraire 2018, Flammarion, 476 pages.

   Cet assez gros roman de Serge Joncour est sans doute un des plus aboutis en terme de construction. Deux histoires se répondent, chapitre après chapitre, l'une se passant en août 2017 et l'autre pendant les étés 1914 et 1915; le lieu est le même: un village perdu, Orcières-le Bas, quelque part au fin fond du Quercy, "le triangle noir du Quercy"( page 89).


    En août 2017, un couple sans enfant d'environ 50 ans décide de louer un gîte dans un endroit calme, loin de la foule. Lise a été malade, est maintenant guérie mais souhaite éviter le bruit, fuir le téléphone et Internet.
  Elle a un peu oublié ou gommé le fait que son mari, Franck, producteur de cinéma est perdu sans ses "petites barres". Une scène assez drôle au début du livre nous le montre errant dans les prés alentour, tendant désespérément son téléphone vers le ciel pour capter un réseau inexistant! Du vécu pour chacun d'entre nous...

 Août 1914: c'est la déclaration de guerre et le départ des hommes mobilisés. Un hommage est ici rendu aux femmes qui sont restées et ont fait tourner l'économie (souvenez-vous du roman d'Alice Ferney, Dans la guerre).  Il reste au village un Allemand, dompteur de fauves, -déserteur-, à qui on concède un terrain au dessus du village pour monter les cages des huit fauves. Et bien sûr, tout va se nouer autour de ces bêtes rugissantes.

 La nature joue un rôle primordial dans ce roman. Elle est évoquée en tant que cadre parfois magnifique ou terriblement oppressant. Les descriptions servent l'intrigue. Les animaux occupent également une place importante, en particulier un chien, sorti on ne trop d'où, qui va adopter Franck, le suivre partout et lui obéir sans relâche.

 Ces deux histoires vont s'emmêler et se résoudre de façon harmonieuse pour le plus grand plaisir du lecteur.

 Une belle nouveauté de cette rentrée littéraire!


jeudi 4 octobre 2018

Le prince à la petite tasse, Emilie de Turckheim, Calmann- Lévy, 2018, 197 pages.

  Emilie raconte les neuf mois passés avec Reza, jeune Afghan qu'elle héberge avec sa famille dans leur petit appartement parisien. Cette décision d'ouvrir leur porte et leur cœur a été prise à quatre: le couple, Fabrice et Emilie et leurs deux petits garçons, Marius et Noé.

  Un peu inquiets néanmoins, les co-locataires vont s'apprivoiser et découvrir un garçon sensible, mûri par l'odyssée vécue depuis l'age de douze ans. La narratrice (l'écrivain) nous fait le récit de leurs quotidien et de leurs découvertes dans un texte chronologique,son journal, nous restituant leurs émotions, leurs inquiétudes, leurs joies, leurs peines.

  Nous nous attachons à cette  famille qui a réalisé une goutte d'eau dans un océan -l’accueil d'un migrant-, avec simplicité et générosité. Ce petit récit est intéressant et sensible.

  J'ai eu  le plaisir de rencontrer cette jeune femme pleine de tact et de délicatesse lors de la rencontre "rentrée littéraire "de ma médiathèque préférée. Elle parle avec facilité et bonheur de ce qu'ils ont vécu à 5. Elle a bien sûr demandé à Reza s'il était d'accord avec la publication de ce journal!
 Simple et vrai!💗

jeudi 27 septembre 2018

Mademoiselle de Joncquières, un film de Emmanuel Mouret, encore en salle!

  L'histoire: Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée de la cour et vivant sur ses terres, subit une cour pressante et stratégique du séduisant marquis des Arcis, libertin notoire et séducteur avéré!
  Elle finit par lui céder et ils connaissent des moments de pur bonheur. Elle pense qu'il lui est attaché définitivement et qu'elle l'a guéri du libertinage... Mais quelques années plus tard, elle découvre qu'il s'ennuie et qu'il souhaite retrouver sa liberté.
 Très blessée par ce revirement, elle décide de se venger de lui, grâce à la complicité de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère. La fin ne se dévoile pas!

Les acteurs, Cécile de France et Edouard Baer, sont au mieux de leur forme et leur jeu est sans faille. Ils portent un texte d'une pureté éblouissante et j'ai été conquise par cette langue, la nôtre, ainsi magnifiée.
Tout est beau dans ce film: les décors sont somptueux, que ce soit les intérieurs ou les extérieurs,
les costumes, et le rythme assez lent du film correspond à l'évolution des sentiments et au cours de la vie.

 Cette histoire, extraite du roman Jacques le Fataliste de Diderot, est à la fois sensible et cruelle...
A voir!!

💕

bande annonce du film

   

Les enfants de Venise, Luca Di Fulvio, 2018, Pocket, 988 pages.


     Avec Les enfants de Venise, Luca Di Fulvio signe un roman de quasiment 1000 pages haletantes !

   La Venise du XVI ème siècle nous est restituée avec sa beauté, son prestige mais également sa misère et sa puanteur. S’y côtoient dans un tourbillon effréné des nobles vénitiens, des soldats, des prostituées, des Vénitiens de souche et aussi une foule de personnage venus d’ailleurs qui espèrent trouver asile dans la Sérénissime.

   Ceux qui vivent sous nos yeux de lecteurs fascinés sont des enfants, des jeunes plus exactement : Mercurio le débrouillard, Guiditta ,la jeune juive dont il va tomber éperdument amoureux, le père de cette jeune fille, Anna, une femme qui va offrir à Mercurio l’amour maternel dont il a été sevré. En regard, des personnages noirs qui poursuivent leur désir de vengeance.

   La brutalité et la violence font partie du quotidien et l’atmosphère est parfois rude. Mais la lumière brille également sur la cité lacustre et les oppositions font le charme de cette fiction, comme dans un tableau.

  Notre jeune Mercurio va devoir réfléchir à la différence entre un programme et un projet, et c’est sans doute grâce à cette réflexion qu’il prend de la maturité : c’est un jeune homme attachant, bouillonnant d’énergie et d’idées, obstiné, tenace et nous tremblons et souffrons avec lui...




jeudi 20 septembre 2018

L'insouciance, Karine Tuil, 2016, Gallimard, 524 pages.

  Dixième roman de Karine Tuil, L'insouciance mérite le détour

 Le destin de quatre personnages principaux s'entrecroisent dans un ballet tragique:
Romain revient d’Afghanistan, blessé psychiquement, traumatisé par le sort de ceux qu'il commandait, de ceux qui sont morts ou handicapés à vie. Lors d'un "séjour de décompression" organisé par l'armée à Chypre, il rencontre une jeune journaliste, Marion, venue couvrir l’événement. Ils vivent une liaison fulgurante -Romain ignore qu'elle est mariée à François Vély, riche homme d'affaires franco-américain aux origines juives.

 De retour en France, Romain et Marion vont se revoir et vivre une grande passion, malgré les résistances de la jeune femme, mal à l'aise dans ce rapport secret. De son côté, Romain est également marié et père d'un petit garçon.

 François Vély va être conspué par les médias après s'être prêté à un portrait où il est montré assis sur une oeuvre d'art représentant une femme noire. Ce déferlement d'accusations va menacer l’équilibre de son groupe financier.

Le quatrième protagoniste est un ami d'enfance de Romain, Osman Diboula, fils d'immigré ivoiriens,
devenu conseiller à l'Elysée après les émeutes de 2005. Mais la roue tourne pour lui: banni du cercle des intimes, il subit une dépression jusqu'au jour où il prendra la défense de F. Vély, déclenchant alors une spirale d’événements dramatiques...

 L'écriture de ce roman est ample, les phrases sont souvent de longues périodes, son vocabulaire est soutenu, ce qui contraste avec parfois l'indigence des dialogues. Effet de réel?...
Les personnages ne sont pas sans nous rappeler des êtres de chair et d'os, mais ces êtres de papier sont bien fictionnels et le produit de l'imagination créatrice de leur auteur!
 Le titre est très intéressant: on en a l'explication vers la moitié environ du roman et dans l'épilogue.

 Un gros roman qui se lit sans problème!


jeudi 13 septembre 2018

Corps et âme, Franck Conroy, 1993, Gallimard 1996 pour la traduction française, Folio 683 pages.

  Autre " pavé" lu cet été!
  Recommandé par une nièce étudiante en médecine, Corps et âme ne parle pas du tout de médecine, malgré son titre, mais de musique!

  Il s'agit d'un beau roman initiatique mettant en scène le jeune Claude, issu d'une famille défavorisée vivant à New-York. Sa mère vit seule apparemment, est bizarre. Elle est chauffeur de taxi et boit pas mal le soir quand elle rentre. Elle a des manies, quasiment des tocs. Un grand mystère entoure la naissance de Claude.

  Ils vivent dans un sous-sol éclairé par un soupirail. La grande occupation de Claude, c'est la contemplation du ballet des "jambes et des pieds qui traversaient son champ de vision." L'enfant de six ans est subjugué par cette vision "des rythmes et des cadences toujours différents". Il est très seul, enfermé jusqu'au retour de sa mère et cet univers restreint va s'ouvrir avec l'école où il va de temps en temps. Il y est  assez distrait.
  Dans "la pièce du fond" se trouve un "petit piano console, blanc, avec soixante-six touches et un miroir au-dessus du clavier." Et l'enfant s'occupe à tapoter, à reproduire des mélodies entendues à la radio.

  Ce qui va changer le cours de sa vie, c'est la rencontre providentielle d'un homme, Monsieur Weisfeld, propriétaire d'un magasin de musique. Cet homme va rapidement comprendre que Claude est un enfant prodige et il va l'aider à avancer sur cette voie de la musique, car il est  persuadé de son  talent d’interprète et de compositeur.

 Beau livre sur la musique, Corps et âme nous parle non seulement de la carrière du jeune Claude, mais aussi des liens entre soliste et chef d'orchestre, de l'essence de la musique classique et encore du jazz qui occupe une place importante à New-York.

  L'auteur nous parle de "roman historique": c'est également une des dimensions intéressantes du livre avec le portrait de cette ville en pleine mutation dans les années 1980,  comme par exemple le démantèlement du métro aérien de la Troisième Avenue et la destruction des maisons environnantes pour construire des gratte-ciel. De même, il narre de façon pittoresque les méthodes d'intimidation des grosses entreprises voulant acheter les petites maison perdues au milieu des immeubles et promises à la démolition!

  Les personnages sont bien campés, intéressants, vivants; notre jeune prodige est sympathique et nous suivons son itinéraire avec beaucoup d'intérêt.




jeudi 6 septembre 2018

Le lambeau, Philippe Lançon, Gallimard, 2018, 510 pages.



    Philippe Lançon s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

   Journaliste à Libération et Charlie Hebdo, il participa à la conférence de Charlie le 7 janvier 2015; il devait proposer une critique du roman de Michel Houellebecq, Soumission. Il fait appel à ses souvenirs pour nous raconter l'avant de l'attaque terroriste des frères Kouachi, l’enchaînement des éléments qui l'ont retardé.

  Il est grièvement blessé, une balle lui arrache le bas du visage, emportant sa mâchoire inférieure. Un pompier qui le verra passer sur une civière criera: "ça, c'est blessure de guerre!"(page 109). Oui, Philippe Lançon a la "gueule cassée", mais il aura la "chance" (c'est moi qui souligne) de bénéficier des avancées de la chirurgie faciale reconstructrice. Il faudra à l'équipe de chirurgiens  dix-sept opérations pour que ce grand blessé puisse retrouver la parole, manger quasi normalement et affronter les regards des autres.  Un coiffeur qui vient faire office de rasage avant une opération le désigne comme "un journaliste au visage en travaux"

  Le titre, Le lambeau, désigne la greffe la plus importante qu'il subira, celle qui consiste à remplacer la mâchoire inférieure disparue par son péroné, os dont nous pouvons nous dispenser pour marcher!

  J'ai trouvé fascinante la manière dont il évoque cette lente remontée des enfers, cette reconstruction. L'auteur cite les écrivains qui l'ont accompagné, Proust avec la mort de sa grand-mère, Thomas Mann et sa montagne magique, Kafka avec Les lettres à Milena... Un chirurgien lui dira d'ailleurs: vous ne pouvez pas lire quelque chose de plus drôle?
 Philippe Lançon s'inspire de Proust pour montrer son rapport au temps: "Je ne vivais ni le temps perdu, ni le temps retrouvé, je vivais le temps interrompu." (page 381) Cette terrible blessure opère forcément une modification du rapport au réel.

  Les relations avec sa famille sont infiniment touchantes; ses parents- pas tout jeunes- présents et effarés, son frère, efficace et rassurant, son ex-femme qui le connait bien, son amie brésilienne qui tente de faire survivre leur relation après un tel bouleversement.
  Bien sûr, le personnel soignant, de l'équipe de chirurgiens au ballet d'aides-soignantes , est croqué sur le vif avec intensité. toute une série de portraits nous montre les liens qui se créent obligatoirement avec un blessé au long cours!

 Sous protection policière pendant longtemps, il prononce l'éloge des policiers anonymes qui ont veillé sur sa sécurité: "J'aimais leur attention, leur calme, leur précision, leur discipline, leur discrétion, leurs vitres fumées, le cuir de leurs véhicules. J'aimais leur présence, leur absence. J'aimais leur intensité périphérique. Ils veillaient sur mon sas, comme deux lions de pierre à l'entrée d'une loggia. Ils me reliaient au monde dont ils me protégeaient."( page 436)

 L'écriture est superbe, travaillée; on se laisse prendre par ce verbe malgré la difficulté du sujet évoqué. Dans une interview avec un journaliste de Gallimard, Philippe Lançon parle de son livre comme d'un "acte de construction littéraire, qui s'accomplit parallèlement à la reconstruction chirurgicale."Nous refermons le livre avec une pensée pour toutes ces victimes de la folie terroriste et les souffrances qu'elle engendre.


jeudi 26 juillet 2018

Bonnes vacances!



                                           

ce pourrait être un rêve!
ou une réalité!!!!!!

Au jeudi 6 septembre avec j'espère des coups de cœur!

Une vie entière, Robert Seethaler, 2014, Sabine Wespieser, pour la traduction française, 2015, folio, 145 pages.

    Voici un petit bijou  parfait pour un voyage, pour une petite sieste sous les arbres, ou en contemplant un magnifique paysage alpin ou maritime...
Jugez-en plutôt:

  Notre héros est un grand cœur mais un cœur simple. Andreas Egger va passer sa vie dans les Alpes autrichiennes. Né au début du XXème siècle,recueilli à contre -cœur par un oncle à la suite du décès de sa mère , le petit Andreas va être le souffre-douleur (il boitera toute sa vie à la suite d'une des corrections musclées de cet homme) et "l'homme à tout faire" de la ferme. Cela ne l'aigrit pas, mais renforce son tempérament, jusqu'au jour où il s'insurge tranquillement devant les coups de ceinture que veut lui infliger son oncle: " Tout ce que je veux, c'est la paix, rien d'autre." et, un peu plus loin: "Si tu me frappes, je te tue!" (page 29)

  Egger va rencontrer une charmante jeune servante d'auberge, Marie, qu'il courtise avec infiniment de poésie. Il lui fera une déclaration fracassante à laquelle elle répondra favorablement. Malgré son handicap, il travaille dans une société d'installation de téléphérique, apprécié des autres ouvriers.

 Il va connaitre deux épreuves terribles dont celle de la guerre. Déclaré "bon pour le service", un officier l'envoie "libérer l'Est"! Prisonnier, il reviendra dans son village et vivra jusqu'à soixante -dix -neuf ans avec infiniment de sagesse: "Il ne pouvait pas se rappeler d'où il venait, et en fin de compte ne savait pas où il irait. Mais, à cet entre-temps qu'était sa vie, il repensait sans regret, avec un petit rire saccadé et un immense étonnement." (pages 138-139)

  Rien de très glorieux dans cette vie, sauf qu'il s'agit d'une vie où on est dans l'être et non dans le paraître.

  Ce petit roman m'évoquait La grande peur dans la montagne de Charles -Ferdinand Ramuz pour sa simplicité apparente, la beauté des paysages rencontrés et le rappel de la petitesse de l'homme devant la création.



jeudi 19 juillet 2018

Dernières nouvelles du futur, Patrice Franceschi, Grasset, 2018, 2116 pages.

  Le premier livre de Patrice Franceschi que j'ai lu est un recueil de nouvelles paru en 2015, Première personne du singulier, pour lequel il a reçu le Prix Goncourt de la nouvelle. Le courage, parfois l'héroïsme, y était exalté.

  Il revient ici avec un autre recueil de nouvelles: il imagine le visage du monde dans cent ans, et cela n'a rien de réjouissant. Toutes ces nouvelles qu'on peut lire comme des fables ont un lien: que faisons-nous de notre destin d'hommes? quel est le sens de notre vie? que va devenir l'Homme?

  Dans un monde devenu fou, quelques personnages, les "héros" résistent en choisissant la liberté , c'est à dire qu'ils rentrent en résistance. Ils utilisent les failles du système pour tenter de s'y opposer. Parfois grinçantes, certains fables nous font sourire (L'Ecclésiaste vous salue bien!, page 33) ou évoquent Huxley et son 1984 dystopique, quand elles ne sont pas apocalyptiques! (La traversée de Paris, page 189).

  Cette résistance est organisée; il s'agit d'un véritable groupe appelé "le réseau Sénèque", cauchemar des dirigeants.Il est en tout cas la preuve qu'il est toujours possible de choisir son camp et de dire non à l'uniformisation et à la pensée convenue dite "correcte". Mais le livre s'achève  sur une note acerbe avec l'évocation de "la caméra du plafond" comme "l’œil de Caïn dans sa tombe." Réveillons-nous!


jeudi 12 juillet 2018

Juste après la vague, Sandrine Collette, Denoël, 2018, 302 pages.



 Accrochez-vous! On démarre les romans de Sandrine Collette ( on ne sait pas pourquoi ils sont rangés avec les polars...) et on ne peut pas s’arrêter avant d'avoir fini... J'ai lu Juste après la vague en grande partie la nuit et ce n'est pas du tout un remède contre l'insomnie...


Le récit démarre après un raz-de-marée monstrueux qui semble avoir englouti la presque totalité de l'humanité. Reste, sur une colline un peu  haute, une maison et ses 11 habitants, une famille composée de Pata, le père, Madie, la mère, et de leurs neuf enfants. Ils prennent petit à petit la mesure du désastre et des graves conséquences de ce déferlement de vagues pour leur survie. Ils ont quelques réserves de nourriture, de l'eau, des poules, mais l'eau continue inexorablement à monter et Pata prend la décision de la fuite vers les "hautes terres", espérant y retrouver d'autres hommes.

 Le premier problème est la taille de la barque, trop petite pour recueillir cette famille nombreuse. Ils partiront donc la nuit, abandonnant les trois enfants du milieu, capables de se débrouiller et de survivre durant l'aller et retour du père.
Madie est farouchement opposée à cet abandon qui révolte ses entrailles de mère. mais elle suit, faute de choix..., laissant un mot d'explication aux plus jeunes.

  Bien sûr, rien ne peut se passer comme le père l'avait prévu, et les aventures s'enchaînent de manière dramatique. Louie, Perrine et Noé (prénom approprié!) font preuve d'ingéniosité et de courage dans leurs tribulations. Leur mère prendra aussi une décision héroïque.

 Apparaissent des personnages secondaires qui vont jouer le rôle de révélateurs: en effet, dans ce genre de circonstances, la nature humaine montre sa face positive ou négative.. Les trois enfants abandonnés vont l'éprouver durant leur périple.

 On ne peut révéler la fin de ce genre de roman, car il faut garder le suspense intact. Je salue l'immense créativité de Sandrine Collette et son imagination débordante!

jeudi 5 juillet 2018

Le dernier gardien d'Ellis Island, Gaëlle Josse, Notabilia, 2014, 163 pages.

  Visitant en 2012 le musée de l'Immigration basé à Ellis Island, l'écrivain Gaëlle Josse a été saisie par l'atmosphère de ces lieux qui ont vu passer tant d' exilés... Elle nous confie que le sujet d'écrire sur tous les "migrants, émigrants, immigrants" qui avaient transité par cette île s'est imposé à elle.

  Comme dans tous ses romans, la brièveté est de rigueur, ce qui renforce la tension dramatique; Il s'agit ici de la lecture du journal - et en l’occurrence des derniers jours de ce journal- du directeur de ce qui était le premier contact des migrants avec l'Amérique.
 Contrôles d'identité, questions (il y en a 29), état de santé, autant de critères qui donnent l'accès au "paradis"... ou pas!

  Du 3 novembre 1954 à 10 heures du matin au 11 novembre 1954 à 4 heures de l'après-midi, avant le moment où il devra rendre les clés et quitter les lieux, John Mitchell revient sur les femmes et les hommes ainsi que sur les événements qui ont marqué sa vie: des regrets, des remords, des angoisses aussi; beaucoup d'empathie par rapport aux personnes qu'il a croisées rend sympathique et touchant ce directeur d'un centre proche d'un centre de détention.

  D'une écriture toujours fine et élégante, Gaëlle Josse nous fait participer à l'émotion qui fut la sienne en 2012. Elle rend hommage à tous ces êtres qui ont vécu ce passage obligé. Ce thème toujours d'actualité est traité avec subtilité en montrant les paradoxes de l'âme humaine.




jeudi 28 juin 2018

Gaspard, entre terre et ciel, Marie-Axelle et Benoit Clermont, cerf, 2018, 213 pages.

   Ce livre est un témoignage poignant mais sans pathos. Je l'ai lu néanmoins la gorge serrée et les larmes aux yeux: en effet,  il ne peut que nous toucher, car il nous parle de la maladie et de la mort d'un enfant.

  Marie-Axelle et Benoit ont trois jeunes enfants, un garçon et deux filles quand s'annonce ce petit quatrième, un autre garçon: leur joie est à son comble. Cet adorable petit bébé va connaitre un développement au ralenti et rapidement la jeune mère s'inquiète: il ne se tient pas assis à 9 mois, il ne se retourne que d'un côté. Il faudra du temps avant de poser le diagnostic: leur petit Gaspard est atteint d'une maladie neurodégénérative, la maladie de Sandhoff.  Il n'existe aucun traitement et l'espérance de vie est très courte. Au premier anniversaire de l'enfant, ils savent que, comme le dit Anne-Dauphine Julliand dans Deux petits pas sur le sable mouillé , il faut "Ajouter de la vie aux jours, quand on peut plus ajouter des jours à la vie."

  Ce témoignage est écrit à deux voix, celle des deux parents; ils nous livrent avec pudeur et vérité leurs réactions, leurs sentiments ainsi que les réactions des frère et sœurs. Ce livre a été écrit après le décès de Gaspard, et est né d'une intuition de Benoit qui avait créé avec l'assentiment de Marie-Axelle, une page Facebook relatant leur parcours: "j'ai besoin de dire ma souffrance, de dire mon admiration sans bornes pour Gaspard et pour ma femme. J'ai besoin de cesser d’être en colère et d'accepter mon impuissance, mon désespoir en mettant des mots sur l'indicible. J'ai besoin d'aide, aussi" .(page 124). Cette page a été très suivie, et leur a apporté beaucoup d'encouragements , d'assurance de prières, et de demande de conseils. Leur foi est vive, mais elle ne gomme pas la souffrance.

 Il est difficile de retracer les trois ans qui séparent le diagnostic du jour du décès de ce petit garçon qui meurt dans les bras de sa maman. Je salue le courage héroïque de ses parents qui ont vécu tous les jours de cette brève vie avec intensité, comme faire le deuil du rire de son enfant, puis de ses larmes...

  Ils nous apprennent que l'important, c'est d'aimer.


jeudi 21 juin 2018

Le suspendu de Conakry, Jean-Christophe Rufin, Flammarion, 2018, 319 pages.

  Aurel Timescu, vice-consul de France en Guinée, d'origine roumaine, se trouve  en l'absence du Consul Général devoir enquêter sur une mort violente survenue dans la marina de Conakry.

  Le moins que l'on puisse dire, c'est qu' Aurel détonne dans le paysage du consulat; sa description est extrêmement drôle compte tenu du contexte: "Sa tenue de bureau habituelle se composait d'un costume rayé à trois boutons, d'une chemise à col pointu à laquelle d'innombrables lavages donnaient des reflets jaunes et d'une cravate à rayures rouges et vertes. Quand il sortait, il enfilait toujours un long manteau de tweed croisé à larges revers qu'il tenait soigneusement boutonné.Pour protester contre le sort injuste qui l'avait exilé dans cette capitale africaine, il mettait un point d'honneur à ne rien changer à ses habitudes vestimentaires." (pages 13-14)
  Notre vice-consul n'est pas apprécié par son supérieur hiérarchique qui l'a relégué dans un placard au sens propre du terme sans ordinateur et sans téléphone.

  La mort de Jacques Mayères qui séjournait depuis six mois dans la marina de cette capitale va être pour lui l'occasion de travailler avec le commissaire Dupertuis et son collègue guinéen Bâ chargé de l’enquête. Ayant appris par hasard ce décès, il s'était précipité à la marina car "les questions criminelles représentaient à peu près la seule chose qui dans la vie pût encore l'exciter." (page 43). Il va réclamer un téléphone et une connexion internet pour faire des recherches et contacter la famille. Cette procédure va le faire sortir de son placard et transformer sa vie.

  Il va en particulier rencontrer la sœur du défunt, venue de France, l'inviter à diner, mener une enquête parfois dangereuse ou à la limite de la légalité avec cette femme charmante.

Bref, un Rufin qui change, amusant malgré ce "suspendu", entre aventures et polar.
Un bon roman de vacances!


jeudi 14 juin 2018

Des larmes aux rires, Claire d'Harcourt, Seuil, Le Funambule, 2006.

   Cet album sous -titré Les émotions et les sentiments dans l'art présente sous quatre grandes entrées (de la solitude à l'amour, du songe à l'effroi, de l'orgueil au pardon, de la fureur au bonheur), une palette de sentiments illustrés chacun de deux reproductions d'oeuvre qui "se rencontrent et font écho".

  La sélection est habilement faite et très évocatrice et elle est l'occasion pour le lecteur de découvrir ou redécouvrir des peintures, sculptures, masques, photographies, gravures; le petit-fils qui a trouvé ce livre sur les rayonnages de la bibliothèque, section enfants, a eu la joie de me le faire découvrir. En effet, l'institutrice l'avait montré à sa classe, et ils avaient ainsi exploré les sentiments en les mimant. Il a fallu expliquer en parcourant le livre ce qu'était le sarcasme ou essayer de différencier remords et repentir...

  L’iconographie est belle, l'album est suffisamment grand pour être agréable à manipuler;
   à explorer à partir de 5-6 ans. Et on peut mimer à tout âge!

  Et que représente pour vous l'oeuvre que nous avons sous les yeux?
La bienveillance? La joie?

jeudi 7 juin 2018

La trace du sang, Peter May, Rouergue, 2015, 4016 pages.

  Voilà un Écossais qui possède l'art du suspense! Il met en scène un personnage récurrent dans plusieurs romans policiers, Enzo MacLeod au nom bien typé..

 Cet homme s'est mis en tête de résoudre diverses affaires jamais élucidées, pas réglées par la police française et ce faisant il dérange un tueur redoutable. Pour atteindre MacLeod, l'assassin décide de s'en prendre à sa famille et en particulier à une de ses filles. Ayant trouvé une astuce pour écarter provisoirement ce détective trop malin, (je vous laisse le plaisir de la lecture), il va multiplier les embûches pour arriver même à le faire arrêter et emprisonner pour un meurtre que MacLeod n'a naturellement pas commis.

  MacLeod est aussi un séducteur et il va croiser la route d'une jeune femme mystérieuse, Anna, qui va l'héberger avec sa famille pour les mettre provisoirement à l'abri. Une belle idylle s'ébauche...
 L'enquête va le faire remonter dans le temps, recherchant les racines de cette histoire tout d'abord en Espagne, puis à Londres, puis en France dans le Roussillon et à Aubagne...

  Beaucoup de rebondissements et d'imprévus pimentent la trame de ce roman fort distrayant qui se lit d'une traite. Le personnage principal est attachant et pittoresque, les rouages sont bien huilés, et l'épilogue nous laisse supposer que les aventures de MacLeod ne sont pas terminées!

💓


jeudi 31 mai 2018

Une longue impatience, Gaëlle Josse, Notabilia, 2017, 191 pages.

  Anne est la narratrice de ce court roman très dense en émotions. Elle nous raconte, sous la forme du journal intime, dont le début est daté d'avril 1950, le départ de son fils Louis, 16 ans, qui ne supporte plus les corrections infligées par Etienne, son beau-père.

  Elle a perdu son premier mari, Yvon Le Floch, pendant la seconde Guerre mondiale: son chalutier a été  bombardé et coulé par l'aviation britannique qui avait comme consigne d'affamer les Allemands. Donc, pas de poisson... "Intérêt supérieur des nations, entendions nous." (page 142) On n'avait jamais retrouvé son corps.

  Deux ans après ce drame, Etienne Quémeneur, pharmacien de la bourgade, se déclare: il a toujours été amoureux d'elle, mais a été pris de vitesse par Yvon! Anne accepte de l'épouser et il lui promet d'être un bon père pour Louis.
 Viennent alors deux enfants, Gabriel et Jeanne, et Etienne oublie sa promesse. Il est pourtant plutôt un homme bon, mais il ne sait pas partager son bonheur d'être père avec Louis.

  Jusqu'au départ de Louis... qui ne revient pas. Sa mère le cherche, le guette. Elle sait qu'il s'est embarqué mais il va de cargo en cargo.
 Alors elle lui écrit, des lettres magnifiques, décrivant le festin qui l'attend pour le jour où il reviendra, véritable festin pour accueillir le fils prodigue. Cela évoque aussi Le festin de Babette de Karen Blixen. Elle le guette depuis le bord de mer, elle survit...

  Cette séparation va altérer leur vie de couple: la douleur d'Anne est trop grande. elle se réfugie tous les après-midi dans la petite maison qu'elle a habité avec Louis jusqu'à son remariage, véritable sanctuaire. Elle est très seule dans ce chagrin. Les non-dits ont été trop importants.

 L'épilogue n'est pas inattendu, mais pas complètement tragique. Nous percevons toute une vie tournée vers les autres et plus particulièrement vers ce fils parti, tout cela dans une belle langue à la fois intimiste et pudique.


jeudi 24 mai 2018

Le Bon Cœur, Michel Bernard, La Table Ronde, 2018, 234 pages.

    Michel Bernard n'est pas "sous-préfet aux champs", mais sous -préfet de L'Haÿ-les-Roses! Cet homme a une vie bien remplie puisqu'il est aussi (ou d'abord?) écrivain: j'ai lu le magnifique Les Forêts de Ravel, (cf article du 21 janvier 2016), mais la liste de ses romans est  longue.
     Il revient avec Le Bon Cœur, roman sur Jeanne d'Arc: très documenté, collant à la vérité historique,  son livre possède une part romanesque très importante:

 Nous avons par exemple dans une prose poétique la description des paysages traversés par celle qu'on appelait la Pucelle:

"Ils marchaient à pas lents. Sur les claies d'osier le chèvrefeuille avait repris sa croissance. Sous les tonnelles pointaient, violettes, les pousses de la vigne. Entre les murs du château attiédis, dans la terre ameublie et fumée, l'hiver avait cessé de mordre. " (page 64) ou, plus poignant, dans sa prison de Rouen: "Elle vit des paysans cheminer vers la ville en menant un âne ou une charrette attelée de boeufs, des enfants se jeter des boules de neige, des vieilles femmes porter des fagots, les fumées monter des chaumières et les corbeaux hanter le ciel où la nuit attendait."(page 202)

  Michel Bernard nous montre aussi d'une plume les magnifiant tous les êtres croisés par Jeanne: il leur donne vie, leur donne chair et nous nous attachons à Jean d'Alençon qui va l'accompagner dans son périple avec fidélité "Il se sentait meilleur près d'elle et souvent heureux" (page 166), à ses frères qui la rejoignent, à La Hire qui pourtant  n'était pas un enfant de chœur! Le peuple aussi prend corps, qui veut voir Jeanne, la toucher, l'aduler ou l'insulter.

  Et bien sûr, la figure de Jeanne, cette petite paysanne de 18 ans, avec son accent lorrain, son aplomb, cette assurance liée à l'obéissance aux voix, sa grande piété, et son courage héroïque: une grande sainte de l'Histoire de France qu'il nous est donné de redécouvrir avec la grâce et l'élégance de l'écriture de Michel Bernard.


jeudi 17 mai 2018

50 nuances de Grecs, Jul et Charles Pépin, tome 1, Dargaud 2017, 81 pages.

  Très humoristique et plein d'esprit, voici le premier tome de l'Encyclopédie des mythes et des mythologies. Une bonne façon de revoir ses acquis de lycée ou tout simplement de découvrir des héros ou des dieux dans des situations cocasses:
en effet, la première page nous propose l'évaluation de la pension alimentaire de Zeus par une jeune avocate; un peu plus loin, l'évocation du fil d'Ariane est contextualisée..., ou trouve également Narcisse avec une perche à selfie...
La page de dessins est complétée par une explication du mythe, intéressante, jamais pontifiante, parfois assez drôle.
 J'ai trouvé vraiment l'album plaisant: une idée cadeau fête des pères? sans aucune arrière-pensée!
😊💗 Et le dessin animé bientôt sur ARTE!

vendredi 11 mai 2018

Djamilia, Tchinguiz Aïmatov, traduit du kirghiz par A. Dimitrieva et Louis Aragon en 1959, Denoël, 132 pages.

    Découvert grâce à une lectrice (merci à elle!) qui suit mon blog, ce court roman nous narre "la plus belle histoire d'amour du monde". L'expression est employée par Aragon dans la préface.

  Le narrateur, un jeune garçon , découvre ce qui se passe dans l'âme d'un couple, la naissance de l'amour; mais c'est aussi l'amour de la terre, de la nature, de la création toute entière qui est célébré ici.
  Djamilia est la femme de son frère aîné, Sadyk, parti à la guerre quatre mois après le mariage. Dans les lettres adressées à la famille, Sadyk ne met qu'un mot sec pour sa jeune épouse.

  Arrive dans le village perdu au milieu de la steppe un jeune soldat revenant du front, Danïiar, au tempérament associable  et très réservé.

 Notre jeune narrateur et sa belle-sœur se trouvent être associés à Danïiar pour une tâche particulière: conduire les deux voitures à cheval, les "britchkas" chargées de sacs de grains jusqu'à la gare. Leur découverte mutuelle va s'opérer lors d'un retour pendant lequel les deux conducteurs vont chanter et l'enfant qu'est le narrateur réalise -sans pouvoir le nommer- que quelque chose s'est produit: "Ce qui me surprenait le plus, c'était la passion, l'ardeur même dont était saturée la mélodie même." (page 85)
"C'était un homme profondément amoureux. Et amoureux, il l'était, je le sentais bien, pas seulement d'un autre être humain: il s'agissait là de je ne sais quel amour tout autre, d'un énorme amour, de la vie, de la terre." (page 87) Les descriptions qui suivent participent de ce même élan lyrique et nous dévoilent un peu l'âme kirghize.

  La déclaration d'amour ne peut avoir lieu qu'une nuit d'orage: "C'était effrayant et joyeux: l'orage avançait, le dernier orage de l'été." (page 115) Le narrateur qui dort dans la grange va être réveillé par des murmures et assister sans le vouloir à leur déclaration d'amour.

  Je ne peux révéler la fin du roman... mais il est intéressant de voir dans le dernier chapitre la naissance de la vocation de peintre du narrateur "sur le difficile chemin de la quête du bonheur".
  Ce roman puissant allie avec style nature et sentiments. Cette lecture facile et rapide est intéressante et très dépaysante : en effet, à part peut-être Sylvain Tesson et quelques voyageurs sortant des sentiers battus, qui peut prétendre connaitre le Kirghizstan?


jeudi 3 mai 2018

LIRE! Bernard Pivot et Cécile Pivot, Flammarion, 2108, 187 pages.

  On ne présente plus Bernard Pivot! Ce critique, journaliste, en son temps célèbre animateur d' Apostrophes, maintenant élu à l'Académie Goncourt, a la bonne idée de revenir avec un livre sur la lecture... Lecteur professionnel (il recevait jusqu'à dix livres par jour six jours sur sept!), il a proposé à sa fille Cécile, grande lectrice "amatrice", d'écrire ce livre à deux voix ou à quatre mains..

  Le résultat est très amusant: une série de courts chapitres nous présente successivement le point de vue du père puis celui de la fille; ils ne sont pas d'accord sur tout -et c'est tant mieux pour nous- mais se rejoignent sur le plaisir de la lecture, l’amour de l'objet livre et la nécessité vitale pour eux de prendre du temps pour lire.

Quelques phrases glanées au fil de ma lecture:
"Lire, c'est courir le risque de se remettre en cause."
"Lire c'est avoir de l'esprit jusqu'au bout des doigts." (page 18)

 "Il ne faut prendre le livre qu'on va lire ni avec des pincettes, ni avec des gants. Il faut le saisir à pleines et chaleureuses mains, comme du bon pain et une belle étoffe. Le respecter, c'est entrer en lui avec curiosité, attention, intelligence, sensibilité.Lui faire cadeau de son temps. N'avoir d'autres égards envers lui que ceux du commerce de l'esprit." (page 55)

"La lecture est une "subversion en douce",dit Régis Debray. La France insoumise est d'abord celle des lecteurs."(page 94)

  J'ai retenu quelques conseils dans le chapitre "choisir un livre" comme celui de fréquenter les blogs (!) et bien sûr les bibliothèques et les librairies. Cécile nous offre ses librairies coup de cœur.
  Elle nous suggère aussi de s'intéresser au rituel mis en place par l'association Silence! on lit.
  Le principe en est simple: dans la collectivité qui a choisi de le pratiquer,on s'arrête tous ensemble et chacun prend quinze minutes de lecture silencieuse Les bienfaits en sont reconnus et ce n'est pas notre ministre de l'Education nationale qui la contredira.

  On trouve aussi dans cet ouvrage l'entrée "ranger ses livres" ou "offrir des livres" ou encore "Relire", autant de petits chapitres intéressants, parfois amusants, jamais pontifiants.

  De très belles photos de lecteurs connus ou pas, -lectrices, parfois dans des positions invraisemblables, bibliothèques, reproductions de tableaux représentant un lecteur, charment le lecteur de ce livre fort plaisant.
  La lectrice convaincue que je suis ne pouvait être que sous le charme!
  A offrir ou à s'offrir!



jeudi 26 avril 2018

Par-delà les glaces, Gunilla Linne Persson, 2015, traduit du suédois aux éditions Les Escales, 2017, 314 pages.

  Ce roman suédois possède une trame narrative double:

  L'hiver 1914 connait entre autres une terrible tempête de neige à l'extrémité nord de l'archipel de Stockholm; un groupe de sept jeunes gens, garçons et filles, repartis après un bal sur un chemin qui avait été balisé, vont tourner en rond sur cette île d'Hustrun balayée par des vents si forts que l'on ne peut plus se tenir droit, ni finalement avancer. Un chapitre est intitulé "Quand il fait si froid que les mots gèlent".Les parents, inquiets de ne pas les voir rentrer, se rassurent comme ils peuvent en se disant qu'ils ont dû rester à l'auberge. Quand il fera clair et que le vent sera tombé, ils partiront à leur rencontre...

  En 2013, sur cette même île, Herrman Engström -dont la famille a été considérée comme responsable de la mort des 7 jeunes gens - attend le bateau-taxi d'Algot, le père d'Ellinor dont il était épris avant de quitter l'île. Surprise, c'est Ellinor elle-même qui vient le chercher. C'est elle qui a repris le bateau et l'activité de son père et elle s'occupe des quelques touristes qui viennent séjourner durant l'été. Les enfants l'aiment et viennent souvent la solliciter. Elle se prête volontiers à leurs jeux.
  Herrman, lui, est devenu un peintre célèbre dans sa spécialité : peintre d'oiseaux, il est venu peindre les eiders, chef d'oeuvre suprême (page 48), et vendre la propriété familiale.

  De vieilles rancœurs liées au drame de 1914 vont altérer les retrouvailles de ces deux êtres qui s'aimaient. Il va leur falloir comprendre ce qui les a séparés, laisser tomber les rancunes; pour Ellinor, c'est un véritable travail de mémoire qui s'opère et elle devra décider de sa vie.

 Un des personnages principaux de ce roman est bien sûr le climat qui est dur, hostile une bonne partie de l'année. On doit être vigilant dans ce que l'on entreprend, dans les déplacements à pied ou en bateau. La vie est rude, les cultures sont difficiles, rien ne doit être gâché. C'est aussi pour cela que les Suédois quittent leurs îles et s'installent en ville où ils trouvent tout le confort de notre époque. Les demeures ancestrales restent éventuellement ouvertes en été.

  On sent chez Ellinor au contraire un attachement très fort à ses racines, à cette vie austère mais qui est sienne. Femme magnifique, figure du dévouement, elle nous touche profondément.

        Un beau roman dans un cadre grandiose et déroutant.  Une lecture qui nous happe et nous permet de connaître un peu mieux nos voisins scandinaves.
                                                   

jeudi 19 avril 2018

Et vous avez eu beau temps?, Philippe Delerm, Seuil, 2018, 159 pages.

     Après La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules en 1997 et Les Eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter sur terre (2015), - un article sur ce blog le 8 octobre 2015 - (et bien d'autres ouvrages encore...), voici Et vous avez eu beau temps? sous titré La perfidie ordinaire des petites phrases.

   Le genre original utilisé par Philippe Delerm est celui de la forme courte baptisée l'"instantané littéraire"; son auteur occupe une place un peu à part dans l'univers des auteurs et pour ma part, dans cet opuscule, j'ai trouvé une âme de moraliste un peu comparable à celle de La Bruyère qui épinglait assez férocement les travers et les vices de ses contemporains.
   De même ici, les mots et les phrases nous trahissent: ils disent quelque chose de notre pensée et souvent ce n'est pas le meilleur qui vient à la surface...

  Commençons par le titre qui est aussi celui de la première nouvelle: Delerm décortique avec acidité le rôle joué par la conjonction de coordination placée à l'attaque de la phrase, avec tout ce qu'elle induit de duplicité et de perfidie...

J'ai apprécié aussi page 145 "Pour être tout à fait honnête avec toi..." et sa conclusion: "L'honnêteté, une vertu qui semble d'évidence pour ceux qui la pratiquent, et fait jeter le voile de la méfiance sur ceux qui la revendiquent." Rappelons nous le fameux adage "l'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu"...du moraliste La Rochefoucauld!

  Mais Philippe Delerm éprouve quand même une certaine affection pour le genre humain, et certains instantanés sont chargés de tendresse "Tu m'as rendu la vie" (page 113), ou peuvent nous faire sourire "ils n'articulent plus, maintenant" page 133.

 Bref, un livre facile à lire, qu'on picore au gré de son humeur!



Je m'étais amusée à pasticher Delerm le 8 octobre 2015 avec l'article "Faire un gâteau au chocolat", recette libre de droits...

jeudi 12 avril 2018

Un funambule sur le sable, Gilles Marchand,éditions Aux Forges de Vulcain, 2017, 354 pages.

   Un funambule sur le sable est un roman original, à la fois léger et profond, un roman à succès sans avoir été médiatisé, faisant les délices des libraires, des bibliothécaires et des blogueurs...

   Stradi naît avec un violon dans la tête:
"- Nous ne comprenons pas comment cela est possible.
  - De quoi parlez-vous? Comment va mon fils?"
   - Bien. Mais il a un violon dans la tête."

  Notre narrateur, Stradi, nous raconte son enfance heureuse même s'il sent le regard toujours inquiet de ses parents; pas le droit d'aller à l'école, pas le droit de courir, ... jusqu'à six ans, il vit en vase clos.
 Son violon se développe en même temps que lui: cette croissance est harmonieuse et le petit violon commence à jouer des morceaux, ce qui n'est pas sans attirer l'attention!

  Un médecin finit par autoriser l'intégration scolaire: bien évidemment, ses camarades vont le trouver "bizarre", "il est un peu bizarre, Stradi."  De là à ce que l'un d'entre eux le déclare malade mental...
  Et comme c'est difficile de s'intégrer! "Et pour prouver que j'étais l'égal de mes camarades, je devais être meilleur, je l'avais vite compris." (page 123)

 Les personnages du roman sont attachants: le père est un "inventeur", sorte de "savant fou illuminé", travaillant sur les bâillements ou la fabrication de prototypes; sa mère aime bien sûr son fils d'un amour inconditionnel, mettant tout en oeuvre pour lui faciliter l'existence.
 Stradi a un copain avec un handicap physique, Max: il boite. Unis sans doute par leurs différences, ils deviennent de vrais complices.
 Il a une amoureuse, Lélie, avec qui il va vivre: imaginez comme cela peut être fatigant de vivre avec quelqu'un possédant dans sa tête un violon qui joue la nuit!

  Roman sur la différence, "l'anormal" certes: Gilles Marchand se défend d'avoir pensé à un handicap particulier. Mais il nous renvoie avec beaucoup d'humour et d'empathie aux attitudes que nous avons face à ce que nous ne maîtrisons pas, ne comprenons pas, ce qui nous fait peur...

Un roman d'une lecture aisée, à faire connaitre!


jeudi 5 avril 2018

Tuer le cancer, Professeur Patrizia Paterlini-Bréchot, Stock, 2017, 278 pages.

  Voilà une femme remarquable, qui a décidé de consacrer sa vie à la lutte contre le cancer.

  C'est la guerre qu'elle a déclarée à cette maladie, guerre ouverte depuis sa rencontre avec "le patient zéro", un jeune homme au corps envahi de métastases; elle crie sa rage de n'avoir rien pu faire pour le sauver, et de n'avoir pu empêcher d'autres médecins de s'acharner sur lui et d'avoir ainsi provoqué des souffrances inutiles. Elle revoit encore le regard lourd de mépris qu'il lui lance, pensant qu'elle l'a trahi.

  Elle salue le professeur qui lui a tout appris et a reconnu en elle un disciple. Cet homme exigeant, le professeur Coppo, parfois dur, a joué auprès d'elle un rôle de mentor. Il lui a appris la nécessité pour un médecin de comprendre le fonctionnement des maladies, et de discuter avec son patient pour appréhender au mieux sa maladie. L'excellence était alors au rendez-vous et pour mieux cerner les mécanismes du cancer, elle décide de se consacrer à la recherche en hématologie et en oncologie.

  Avec "la traversée des Alpes", c'est-à-dire son arrivée en France, commence un nouvel apprentissage, celui de la biologie moléculaire (son objet est la compréhension des mécanismes de la cellule à l'échelon de la molécule) Car pour elle, pour vaincre le cancer, il faut trouver un autre chemin que la chirurgie et elle va s'intéresser aux travaux de Christian Bréchot: elle va travailler à ses côtés (et l'épouser!) et poursuivre ses recherches pour traquer le tueur! (ce sont ses propres termes.)

  Les résultats vont arriver progressivement, malgré des sabotages et des fuites au sein de sa propre équipe. Elle va également connaitre les difficultés de publication d'articles faisant part de ses avancées et les diverses pressions de l'industrie pharmaceutique.

 Patrizia Paterlini-Bréchot a mis en évidence un test sanguin mettant en évidence les cellules tumorales circulantes, ce qui a le mérite de signaler l'ennemi -le cancer-avant toute détection possible en imagerie. Pour elle, seul le diagnostic précoce permettra de réduire de manière significative la mortalité par cancer. "Mon souhait le plus cher est que le test ISET devienne partie intégrante de toute prise de sang, comme c'est la cas pour la numération et la formule sanguine,... un tel examen de routine permettra, pour un coût extrêmement modique, de détecter la présence de cellules tumorales circulantes souvent avant même qu'une tumeur devienne détectable et en tout état de cause avant qu'elle soit parvenue à créer des métastases."

  Une femme passionnée par son combat!




jeudi 29 mars 2018

Il reste la poussière, Sandrine Collette, éditions Denoël 2016, 3012 pages.

  Quel roman!

   Un petit garçon poursuivi par ses trois frères à cheval dans une plaine de Patagonie: Rafaël, le plus jeune garçon de la fratrie, a été pris en grippe par les aînés, des jumeaux, brutes épaisses, et Steban, le troisième, les a suivis au début dans ces brimades perpétuelles. "tous les trois contre la petite chose qui venait alourdir le travail, car la mère y passait de temps".(page 40).
  Mais l'alliance s'est ensuite modifiée: Steban et Rafaël, celui qu'on appelle le petit,  ont uni leurs forces. Les seuls amis du petit sont son cheval et son chien.

  La mère est dure: elle tient d'une main virile les rênes de l'exploitation depuis la mort du père (mort d'ailleurs dans des circonstances assez suspectes...), elle distribue le travail du matin au soir sans oublier les taloches ni les réprimandes s' il y a erreur ou manquement. Pas d'affection à attendre de sa part car elle ne pense qu'à la rentabilité précaire de sa ferme. Elle s'autorise néanmoins, les jours où elle va en ville avec un des jumeaux pour vendre ou acheter, à aller jouer au poker avec les hommes et à boire de façon tout à fait excessive.

 Elle va perdre (!) au poker un des jumeaux, Joaquin, le moins fort des deux. Il est désespéré, mais finira par découvrir en travaillant chez Eduardo une forme de liberté dont il ne disposait pas auparavant. L'autre conséquence, c'est que le travail de Joaquin est réparti sur les trois frères restants. Rafaël va commettre une grosse négligence qui aura des répercussions très importantes sur sa vie.

 Le cadre du récit est démesuré lui aussi, par son aridité et son immensité, celle de la steppe argentine. Les épineux y prolifèrent, le vent y souffle glacé, l'intrigue est haletante mais néanmoins le roman se clôt sur une bouffée d'espoir.

💓un roman qui vous tient jusqu'à la fin!

jeudi 22 mars 2018

Le domaine enchanté, Elizabeth Goudge, 1940, réédité en 2017 aux éditions Mercure de France, 298 pages.

  Les éditions Mercure de France ont eu une riche idée en rééditant ce roman; Elizabeth Goudge avait bercé mon adolescence et je retrouve en relisant Le domaine enchanté l'atmosphère si particulière de certains romans  anglais ou de certains films comme Orgueil et préjugés pour ceux qui n'ont pas lu Jane Austen.

  Les cœurs  sont les mêmes, les sentiments et les passions s'emparent de la même façon des hommes en 1940 ou en 2018. C'est sans doute dans la façon d'y répondre que nous avons beaucoup changé. La question est de savoir si c'est une évolution réellement positive.

  Lucilla a acheté une maison avec un jardin "enchanté" et elle y a élevé un de ses petits-fils, David. Quand le roman démarre, elle y accueille une fratrie de trois autres petits-enfants dont les parents sont en train de divorcer. il s'avère que David maintenant adulte vient souvent la voir en weekend, et lors d'une de ces visites, il avoue à sa grand-mère ce qui fait à la fois sa joie et son tourment. Je ne peux dévoiler l'intrigue, mais simplement je peux dire que l'atmosphère si particulière de cette maison "Tradition. Mais une tradition particulière. Une tradition de fidélité." (page 221) va contribuer au dénouement.

 Les descriptions sont intégrées au récit et sont utiles à la compréhension de la narration. Elles nous permettent de nous représenter cet univers si parfaitement anglais, et particulièrement représentatif d'une époque.

  Sans être nostalgique systématiquement du temps passé,  j'ai trouvé la lecture de ce roman rafraîchissante!


jeudi 15 mars 2018

Abigaël, Magda Szabo, 1970, éditions Viviane Hamy pour la traduction française, 2017, 418 pages.

    J'ai découvert Magda Szabo, grand écrivain hongrois, avec la lecture de La Porte (article du 6 octobre 2017); avec Abigaël, roman initiatique, c'est un pur moment de bonheur!

  Gina a quinze ans, vit à Budapest avec son père, la sœur de son père, et une gouvernante française, Mademoiselle Marcelle, sa mère étant morte quand elle avait deux ans. Mais son père, le général Vitay, se trouve dans l'obligation de la mettre en pension; la raison ne nous en est pas donnée tout de suite.

  Elle explore l'univers du pensionnat calviniste Matula, est tout d'abord bien entourée par les autres filles de sa classe: elle fait la connaissance d'Abigaël, une statue du jardin, qu'on lui décrit comme la protectrice des lieux. Cependant Gina va enfreindre une des "lois" tacites de la jeunesse et dévoiler aux adultes un des secrets de sa classe. Elle va alors être mise au ban, ignorée délibérément de ses compagnes, tristement en quarantaine. Profondément malheureuse, elle décide de s'évader. Sa tentative va lamentablement échouer, mais son père prévenu qu'elle va mal va venir la voir. Il lui explique alors pourquoi il l'a mise dans ce pensionnat si strict, et pourquoi il ne peut la ramener chez eux. Il lui demande si elle est capable de garder le silence sur ces raisons si graves.

 Notre petite Gina de quinze ans va devoir mûrir plus vite qu'à l'ordinaire: nous sommes dans un contexte de seconde guerre mondiale et le général joue un rôle important dans son pays.

  Elle va découvrir les notions de responsabilité et d'honneur tout en restant elle-même, une jeune fille dotée d'un caractère impétueux. Roman initiatique, Abigaël nous dévoile l'évolution passionnante d'une jeune héroïne tout en nous faisant découvrir un aspect mal connu de l'Histoire de la Hongrie.

  Un livre qui m'a enthousiasmée!💗


jeudi 8 mars 2018

Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant, 2017, Editions Héloïse d'Ormesson, 532 pages.



  La part des flammes, cela vous dit quelque chose? L'évocation de l'incendie du Bazar de la Charité à travers quelques figures féminines historiques ou fictionnelles nous avait transportés au dix-neuvième siècle. Avec Légende d'un dormeur éveillé,- Gaëlle Nohant nous fait découvrir (ou re-découvrir) le surréalisme à travers la figure de Robert  Desnos et l'oxymore du titre nous dit quelque chose de ce mouvement complexe.

  Il n'est pas le poète surréaliste le plus célèbre: on pense d'abord à Paul Eluard ou à André Breton mais c'est celui qu'affectionne notre auteur comme le souligne l'une des exergues:

  A Robert Desnos
  qui m'accompagne depuis l'adolescence.
par ce roman, j'ai voulu lui rendre
un peu de tout ce qu' il m'avait donné.


Ce gros roman, extrêmement documenté, est passionnant pour l'histoire littéraire, pour l'Histoire et pour l'aspect romanesque.
Tensions au sein du surréalisme avec André Breton en particulier, évocation des recherches de ce mouvement, description plus recherchée du Paris sous l'occupation et du rôle que Desnos a pu tenir dans la Résistance , histoires d'amour et surtout de Youki, tout d'abord femme et modèle du peintre japonais Foujita, puis muse de Desnos, celle qu'il appela la Sirène . La dernière partie de l'œuvre donne la parole à cette femme qui réalise l'amour qu'elle lui a porté et l'immense dette qu'elle a envers lui.

Des amies lectrices qui ne connaissaient pas ce poète m'ont dit tout le bien qu'elles pensaient de ce livre si imposant. Sa taille peut effrayer, mais il se lit de manière fluide. Il permet de découvrir aussi des fragments de l'écriture de ce "dormeur éveillé ".


jeudi 1 mars 2018

Eclipses japonaises, Eric Faye, Seuil, 2016, 225 pages.

En 2015, paraissait le roman Les évaporés,  fiction écrite par Thomas B. Reverdy.. Disparitions restées inexpliquées d'adultes au Japon.
Dans Éclipses japonaises, Eric Faye convoque d'autres fantômes: des Japonais, volatilisés dans les années 1970 aussi de manière inexplicable: des adultes mais également une collégienne, des hommes et des femmes de milieux différents.

  En 1987, une terroriste descendue d'un avion de la Korean air est arrêtée lors d'une escale à Berlin Ouest; son compagnon de route se donne la mort. Elle parle un japonais parfait, mais la police finira par identifier une espionne de Corée du Nord. Elle expliquera à celui qui l'interroge les objectifs de l'attentat: "provoquer des troubles au Sud; discréditer votre régime politique; saboter l'organisation des Jeux Olympiques; empêcher vos élections; et ainsi, vous ayant mis à genoux, faciliter la réunification sous la conduite de notre pays." (page 43)

  Vingt ans après, les enquêteurs feront le lien entre les deux affaires et on comprendra le pourquoi de ces enlèvements, permettant des retours inespérés au Japon...

  Eric Faye s'empare de la réalité avec brio et nous restitue grâce à la fiction un tableau saisissant de ces vies bouleversées. Un livre passionnant!



jeudi 22 février 2018

Le roman d'Ulysse, Simone Bertière, éditions de Fallois, 2017, 256 pages.

  Simone Bertière est professeur agrégée de lettres classiques et a écrit de nombreuses biographies après avoir été maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3.

  Dans la postface de son roman d'Ulysse, elle écrit qu'elle souhaite simplement offrir au lecteur non helléniste le moyen de faire plus ample connaissance avec L'Odyssée sous une forme renouvelée et attrayante.

  Elle imagine le retour d'Ulysse après la guerre de Troie et son errance de 10 ans, son arrivée à Ithaque; après avoir chassé avec vigueur les prétendants au trône, il s'installe à l'écart avec comme compagnie un jeune pâtre, Euphore. Celui-ci s'empare de la légende d'Ulysse et devient son aède. Ulysse lui raconte son périple et le jeune poète voit le parti qu'il peut  tirer de toutes ces aventures.

 Le côté sympathique d'Ulysse "l'homme aux mille ruses", c'est que le héros légendaire est un homme sous la plume de Simone Bertière: " Il ne se reconnaissait dans cette image trop simple, outrée, quasi caricaturale. Il se sentait lui, pétri de contradictions et il lui déplaisait de se voir érigé en modèle alors qu'il se rongeait de doutes." (page 228)

  Une réflexion pertinente et assez humoristique sur l'écriture est également le sujet de la conversation entre les deux hommes: l'écriture, c'est-à dire finalement la fin de la transmission orale, sera-t-elle la fin de l'épopée?

   " Tu veux notre mort, à nous les aèdes! notre oeuvre est une création continue; Aucun de nous ne chante deux fois le même poème. Du jour où nos œuvres seront écrites, c'en sera fini de notre art. Ne resteront que des rhapsodes déclamant un texte appris par cœur. Si brillants qu'ils soient, il leur manquera l'inspiration, le souffle du dieu quand il s'exprime par notre bouche." (page 200)

  Ce qui rend ce roman si actuel, c'est que les questions fondamentales sont abordées par Ulysse, pleinement homme. Il s'interroge sur l'amour, la mort, le pouvoir et sur le sens à donner à ce qui lui reste à vivre.


  Ce livre s'adresse à d'assez bons lecteurs qui n'auront pas de crainte à plonger dans l'univers antique et à se laisser charmer par les sirènes d'Ulysse.


jeudi 15 février 2018

Les Bourgeois, Alice Ferney, Actes Sud, 2017, 350 pages.

     Grande saga familiale, Les Bourgeois nous racontent la vie de personnages qui traversent l'Histoire, le Temps. Dix frères et sœurs nés entre 1920 et 1940 vivent, aiment, se marient, ont à leur tour des enfants, certains font la guerre, et meurent.Une narratrice, (l'auteur?) qui est un membre de la famille, se penche sur ses ancêtres et sur ceux qui sont en vie. Elle dispose bien sûr de la mémoire familiale, des récits de Claude, l'un des dix, (mon préféré), elle observe et décrit des photos familiales, imaginant les pensées et les sentiments de ceux qui apparaissent sur ces documents.

  Le récit commence le 9 novembre 2013 et s'achève le 5 avril 2015. Curieusement, le fil de la narration nous semblera chronologique mais il y a suffisamment d'allers et retours entre passé et présent pour que ce ne soit jamais ennuyeux, malgré la taille du roman.

  Les Bourgeois sont des représentants d'une famille aisée avec le style de vie qui correspond à une époque où il y avait du personnel de maison mais pendant laquelle les femmes mouraient souvent en couches. Ils réagissent comme on s'y attend vu leur éducation, mais des valeurs solides fondent cette famille. Les liens d'affection et de solidarité sont très intenses entre les frères et sœurs et la "tribu" se serre les coudes quand il y a des coups durs.

  A l'ère du féminisme à tout crin, la narratrice s'interroge sur la mère de famille, Mathilde qui "a mis au monde dix enfants. Sans doute a -t-elle été treize ou quatorze fois enceinte. Voilà qui nous semble ahurissant et même épouvantable (comme le nombre d'enfants qui mouraient dans toutes les familles). Ce qui fut une évidence pour Henri et Mathilde peut provoquer notre sidération et réciproquement ce qui nous parait naturel ne l'était pas forcément pour eux." Et, à la page suivante, notre narratrice de conclure: "Je regarde vers l’avenir, de nouveaux dangers se profilent, les technologies recèlent des aliénations. Je regarde vers le passé, je ne m'interdis pas d'imaginer Mathilde heureuse." (pages 78 et 79)

  Nous devrions écrire sur nos familles, car "la passé est derrière nos yeux, notre mémoire est nécessaire." Roman familial, il nous renvoie à nos racines et à ce qu'il pourrait être important de connaitre et de se souvenir, parce que cela nous constitue et que nous pouvons en transmettre une part.

Roman assez facile à lire; certaines amies lectrices m'ont dit avoir eu du mal à "entrer dans l'histoire". Peut-être faut-il se donner les 50 premières pages avant d'abandonner?

jeudi 8 février 2018

Et moi, je vis toujours, Jean d'Ormesson, Gallimard, 2018, 280 pages.

    Ce roman posthume de Jean d'Ormesson est éblouissant: vaste panorama de l'humanité -ce JE (le narrateur) la représente- qui nous montre dans un défilé rapide, une course haletante de moments précis de notre histoire, des personnages, hommes ou femmes, qui ont contribué dans un sens ou un autre à notre évolution, et même des anonymes qui constituent son essence  "Je suis l'espèce humaine et son histoire dans le temps" (page  42) "Je suis ceux dont personne ne s'occupe dans leur vie et dont personne ne se souvient après leur mort. Salut et fraternité." (page 268)

  Comment résumer un roman de notre d'Ormesson national? un défi! une gageure! Impossible!

  Je dirai qu'il fait preuve de son érudition, de sa culture que nous savions immense; nous entendons sa voix résonner parfois dans des choix qu'il opère "ces villes d'Italie d'une beauté à tomber, au  charme irrésistible et que j'ai tant aimées." (page 101); ou encore, page 122: "Vivre, pour moi, pour tous les moi où je me suis glissée les uns après les autres, c'était d'abord lire un livre."

  J'ai été particulièrement séduite (et c'est normal pour une prof de lettres!) par les pages sur notre 17ème siècle, sur son théâtre et en particulier sur Molière et Racine. et ce qu'il appelle le "miracle français". La fin du chapitre intitulé L'EUROPE FRANÇAISE nous en donne les clés:

  "Il reposait d'abord sur l'usage et le triomphe d'une langue qui allait devenir la langue de l'Europe et donner à la France, pour un siècle, et peut-être pour un peu plus, le premier rang dans le monde."...

  Mais l'évocation de l'Histoire est aussi l'évocation d'horreurs, comme la guerre, ou plutôt des guerres qui ont ensanglanté notre planète, les maladies qui nous ont endeuillés: "Et il y a de quoi pleurer" (page 228) Quel sens allons-nous pouvoir trouver à notre existence? " Tout passe, tout finit tout disparaît. et moi qui m'imaginais devoir vivre toujours, qu'est ce que je deviens? " (page 276)

  Réflexion sur la vie, sur la mort bien sûr, "Je passe, je dure, je coule avec le temps, j'édifie, je détruis- et de moi, comme de vous, un jour, plus ou moins loin, il ne restera rien." (page 276) et sur l'interrogation finale: et après? Jean d'Ormesson  se questionne sur l'existence de Dieu... sur lequel il estime impossible de parler "Ce dont on ne peut parler[...]il faut le taire"

  Et je pense que vous apprécierez la pirouette finale... Jean d'Ormesson, votre esprit, votre finesse  et votre élégance morale vont nous manquer!
💜 ce livre est d'une lecture relativement rapide; il faut simplement aimer le style d'Ormesson ou se laisser tenter!




jeudi 1 février 2018

Les loyautés, Delphine de Vigan, JC Lattès, 2018, 2016 pages.

      Roman choral, à quatre voix, qui nous happe du début jusqu'à la fin.

    Hélène, professeur de sciences, repère vite dans sa classe de cinquième, Théo, 12 ans et demi, à cause de son côté fragile, de ses yeux cernés que des veilles sur les écrans ne semblent pas suffire à expliquer. Elle le signale, mais il ne se passe pas grand chose, un vague signalement fait par l'infirmière scolaire,  il semble que les parents ne soient pas alertés. Hélène, elle, est particulièrement attentive aux souffrances de ses élèves à cause d'une enfance difficile et des mauvais traitements que lui a infligés son père.

  Théo, est la deuxième voix de ce roman: sa vie n'est pas simple effectivement. Ses parents sont divorcés, il vit suivant le principe de la garde alternée une semaine chez sa mère, une semaine chez son père. Le problème, c'est que son père a perdu son travail et petit à petit a sombré dans une déchéance sordide, obligeant Théo à de nombreux mensonges et surtout à trouver refuge dans l'alcool. Quant à sa mère, elle est tellement pleine de hargne envers son "ex" qu'elle n'a pas la capacité d'attention suffisante par rapport à son fils pour en voir les dysfonctionnements.

  Il découvre avec son copain Mathis l'évasion temporaire mais efficace que procure l'alcool." Un jour, il aimerait perdre conscience, totalement." (page 17). Vodka, rhum, gin, les alcools forts ne leur font pas peur, bien au contraire, mais leur procure une chaleur sans pareille.
  C'est Mathis le pourvoyeur (prélevant de l'argent dans le porte-monnaie de sa mère, réquisitionnant un grand frère de copain pour acheter les bouteilles...); Mathis n'aurait apparemment pas de problèmes familiaux, mais Cécile, sa mère, quatrième voix de la narration, vit mal l'évolution de son mari et de son couple.

  Les adultes ici sont si préoccupés par leurs soucis que les enfants dérivent -surtout Théo-. En effet, la mère de Mathis se méfie de Théo et tente d'interdire à son fils de le fréquenter... Mais rien ni personne ne retient Théo!

  En cinquième! et sous le nez des adultes! que ce soit au collège ou à la maison...
  Il faudra toute la finesse d'Hélène et l'amitié de Mathis... mais je ne peux dévoiler la fin de ce  récit qui m'a impressionnée.



 Le titre est curieux: "Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres, -aux morts comme aux vivants-, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l'écho, des fidélités silencieuses..." Les loyautés, ce pourrait être ce qui nous fait agir, les valeurs que nous portons au plus profond de nous-même.
  L'écriture est fluide, rapide. On perçoit toute l'empathie de l'écrivain, sa sensibilité, son amour des personnes ou à défaut des personnages.

  Roman d'une lecture aisée qui devrait conquérir plus particulièrement un public féminin.


💗💗

jeudi 25 janvier 2018

Un jour, tu raconteras cette histoire, Joyce Maynard, éditions Philippe Rey, 2017, 431 pages.

     Ce récit est ma première découverte de l'oeuvre de Joyce Maynard.  Je l'ai commencé en pensant lire un roman et je fus happée par la véracité et la justesse du ton.

     Sa vie n'est pas un long fleuve tranquille: son mariage est raté, elle tente d'adopter deux petites filles éthiopiennes, elle a quelques aventures après un divorce difficile (euphémisme?), et à 55 ans, ses enfants ayant quitté le nid, elle se retrouve très seule avec un sentiment d'échec profond.

  Elle va rencontre Jim, divorcé comme elle, ayant aussi trois enfants, et ils vont reconstruire leurs vies ensemble; ils sont alors capables de s'expliquer quand il y a des désaccords, et Jim lui offre de vivre "comme des touristes au pays de l'amour", une sorte de vie rêvée. Ils se marient en présence de nombreux amis et de tous leurs enfants: tout semble aller pour le mieux.

  La deuxième partie, intitulée APRES, est celle de la mauvaise nouvelle de l'annonce de la tumeur au pancréas découverte chez Jim."Comment décrire le moment où son univers s'effondre?" Ces minutes de l'annonce, la narratrice les revivra de nombreuses fois. " Je ne voulais pas que cela arrive, mais je n'y pouvais rien. Le lendemain, le surlendemain, les semaines, les mois qui suivirent-et sans doute cela m’arrivera-t-il des années encore, bien qu'il soit trop tôt pour le savoir-, je me repassais ces minutes dans la tête." (page 164)

  La narratrice nous emmène avec pudeur mais sincérité sur les chemins de la douleur physique et morale de Jim et de la sienne. Elle va déployer une énergie considérable pour trouver ce qui leur semble être les meilleurs médecins, les meilleurs traitements, les meilleurs médicaments. Les enfants atterrés vont les entourer du mieux qu'ils le peuvent. Elle va réaliser un jour que le mariage, c'est aussi cela, traverser ensemble les fleuves de l'épreuve :"L'histoire de Jim était devenue inséparable de la mienne. Quel que fût l'avenir qui nous attendait, Jim et moi le traverserions ensemble.Couchée à côté de lui une nuit, j'entendais les battements d'un cœur et ne savais pas auquel de nous il appartenait." (page 262)

  Jim mourut au milieu du mois de juin: il venait de fêter son 64 ème anniversaire, et il restait trois semaines avant leur troisième anniversaire de mariage. Et Joyce passera son été à écrire leur histoire, comme le lui avait prédit Jim avec tendresse.

  Ce récit est touchant et triste bien évidemment, mais il n'y a pas de pathos inutile. Peut-être a-t-il joué le rôle d'une catharsis pour notre narratrice?


jeudi 18 janvier 2018

Entre deux mondes, Olivier Norek, Michel Lafon, 2017, 414 pages.




  Rencontré l'an dernier lors de l'aventure du grand prix des lectrices de ELLE- je rappelle qu'Olivier Norek a été sélectionné en 2016 avec Surtensions pour la catégorie policier-, il promettait à ses lectrices enthousiastes un nouveau polar dans un tout autre univers.

   Ses premiers titres, Code 93, Territoires et Surtensions, se déroulent en grande partie dans ce département bien connu des services de police, le 93. Son dernier roman, Entre deux mondes, se passe tout d'abord en Syrie où nous découvrirons Adam, un des protagonistes de cette histoire. Ce début de roman est appelé FUIR.

    Le narrateur nous emmène ensuite à Calais, et c'est la deuxième partie intitulée ESPERER, que ce soit dans sa "Jungle" ou au commissariat, ou encore chez le lieutenant Bastien Miller, nouvellement installé dans cette ville avec sa femme dépressive et sa fille adolescente...

    Dans RESISTER, Adam et Bastien, le flic syrien et le flic français, vont se retrouver et unir leurs forces pour défendre un jeune garçon, "un petit Black qui s'est fait violer dans la Jungle."(p. 163) Les scènes décrites par Olivier Norek sont dures, mais il nous dit lui-même en prologue de son livre: "Face à la violence de la réalité, je n'ai pas osé inventer." L’écriture des romans de cet auteur est toujours empreinte de réalisme marqué d'authenticité. Ames trop sensibles, s'abstenir!

    L'intrigue nous tiendra en haleine jusqu'à l'épilogue: comment sauver Kilani, ce jeune Noir orphelin? Comment ne pas "sombrer" dans cet univers inhumain de haine et de violence? Comment "survivre?" Quelles solutions?...




jeudi 11 janvier 2018

Les Passeurs de livres de Daraya, Une bibliothèque secrète en Syrie, Delphine Minoui, Seuil, octobre 2017, 158 pages.



Delphine Minoui est grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient, Prix Albert Londres pour ses reportages en Irak et en Iran et parcourt le monde musulman depuis vingt ans. Elle vit actuellement à Istanbul.

 Elle découvre par hasard sur la page  Facebook "Humans of Syria" une photo étrange de "deux hommes de profil, entourés de murs de livres." La légende du cliché évoque une bibliothèque secrète à Daraya, banlieue rebelle de Damas, encerclée et bombardée depuis 2012 par les forces de Bachar al-Assad.

Sa curiosité de journaliste est éveillée et de relais en relais, elle va découvrir l'auteur de cette photo, Ahmad, 23 ans,l'un des cofondateurs de ce lieu. Elle va suivre alors le quotidien mouvementé de ces jeunes hommes qui ont compris l'importance des livres "pour sonder le passé occulté. Ils lisent pour s'instruire. Pour éviter la démence. Pour s'évader. Les livres, un exutoire." (page 28) "Ahmad et ses amis portent en eux cet instinct de survie par la culture." (page 30)

 Ils vont partager avec elle grâce à Skype ou WhatsApp (quand les réseaux le permettent )leur quotidien, leurs angoisses, mais aussi leur goûts littéraires et il faut absolument citer Mahmoud Darwich, poète palestinien décédé en 2008, qui, en particulier dans Etat de siège, avait déjà évoqué l'attente infernale des assiégés:

"Le siège, c'est attendre, 
  Attendre sur une échelle inclinée au milieu de la tempête." (page 118)

 Daraya finira par être détruite, les assiégés dispersés, les livres brûlés ou éparpillés au gré du vent, mais Ahmad garde un espoir "On peut détruire une ville, pas des idées." (page 145)

  Je termine actuellement un autre témoignage qui m' interpelle, celui du père Michaeel Najeeb, dominicain irakien, qui, ayant dû fuir Mossoul et la plaine de Ninive, réfugié à Qraqosh, y a sauvé des manuscrits et des hommes de toutes confessions: Sauver les livres et les hommes (paru en 2017 chez Grasset). Là aussi, le cri d'alarme est fort: comment ne l'entendons-nous pas?

jeudi 4 janvier 2018

La voix cachée, Parinoush Saniee, Robert Laffont, 2017, 376 pages.

    Ce gros roman se dévore d'une traite: l'adulte qu'est devenu Shahaab nous raconte qui il était lorsqu'il avait quatre-cinq ans; cet enfant qui ne parlait pas était le souffre-douleur des autres enfants qui le traitaient de "débile", mot qu'il pensait au début être un mot gentil... Son père, blessé dans son orgueil paternel, le traite avec impatience et un certain mépris que l'enfant ressent puissamment. Shahaab ne l'appelle jamais "papa", mais il nous le présente comme "le père d'Arash", son frère aîné.
Reste sa mère qui sent bien que son fils est "normal", mais qui ne comprend pas son mutisme. Écartelée entre père et fils, elle n'est pas toujours juste avec ce dernier. Elle fait également entendre sa voix dans ce roman.


  Quand Shahaab prend conscience des injustices commises envers lui, il sombre dans une violence aveugle et se venge des mauvais traitements et des punitions qui lui sont infligées: la famille de son père ne l'aime pas, il a l'impression que son père le déteste et que même sa mère ne le soutient pas. Il faudra la présence douce, patiente et pleine d'amour de sa grand-mère maternelle pour dénouer l'écheveau et apprendre à l'enfant à communiquer.

 Cette histoire vraie écrite par une auteur iranienne est extrêmement touchante: elle nous montre de manière vivante les difficultés de relation dans une famille et comment des parents peuvent être aveuglés par des pressions extérieures; l'enfant aurait pu être définitivement brisé sans l'intervention de Bibi, la précieuse grand-mère. Le fait que l'intrigue soit située en Iran nous montre également la difficile évolution de cette société. Les relations fille-garçon sont extrêmement surveillées par la police et les événements actuels nous témoignent de l'exaspération des jeunes devant un régime autoritaire.



 Le premier roman de Parinoush Saniee, publié en 2015, Le voile de Téhéran, roman d'une famille iranienne ordinaire, a été censuré en Iran et est devenu un best-seller international.