jeudi 25 janvier 2018

Un jour, tu raconteras cette histoire, Joyce Maynard, éditions Philippe Rey, 2017, 431 pages.

     Ce récit est ma première découverte de l'oeuvre de Joyce Maynard.  Je l'ai commencé en pensant lire un roman et je fus happée par la véracité et la justesse du ton.

     Sa vie n'est pas un long fleuve tranquille: son mariage est raté, elle tente d'adopter deux petites filles éthiopiennes, elle a quelques aventures après un divorce difficile (euphémisme?), et à 55 ans, ses enfants ayant quitté le nid, elle se retrouve très seule avec un sentiment d'échec profond.

  Elle va rencontre Jim, divorcé comme elle, ayant aussi trois enfants, et ils vont reconstruire leurs vies ensemble; ils sont alors capables de s'expliquer quand il y a des désaccords, et Jim lui offre de vivre "comme des touristes au pays de l'amour", une sorte de vie rêvée. Ils se marient en présence de nombreux amis et de tous leurs enfants: tout semble aller pour le mieux.

  La deuxième partie, intitulée APRES, est celle de la mauvaise nouvelle de l'annonce de la tumeur au pancréas découverte chez Jim."Comment décrire le moment où son univers s'effondre?" Ces minutes de l'annonce, la narratrice les revivra de nombreuses fois. " Je ne voulais pas que cela arrive, mais je n'y pouvais rien. Le lendemain, le surlendemain, les semaines, les mois qui suivirent-et sans doute cela m’arrivera-t-il des années encore, bien qu'il soit trop tôt pour le savoir-, je me repassais ces minutes dans la tête." (page 164)

  La narratrice nous emmène avec pudeur mais sincérité sur les chemins de la douleur physique et morale de Jim et de la sienne. Elle va déployer une énergie considérable pour trouver ce qui leur semble être les meilleurs médecins, les meilleurs traitements, les meilleurs médicaments. Les enfants atterrés vont les entourer du mieux qu'ils le peuvent. Elle va réaliser un jour que le mariage, c'est aussi cela, traverser ensemble les fleuves de l'épreuve :"L'histoire de Jim était devenue inséparable de la mienne. Quel que fût l'avenir qui nous attendait, Jim et moi le traverserions ensemble.Couchée à côté de lui une nuit, j'entendais les battements d'un cœur et ne savais pas auquel de nous il appartenait." (page 262)

  Jim mourut au milieu du mois de juin: il venait de fêter son 64 ème anniversaire, et il restait trois semaines avant leur troisième anniversaire de mariage. Et Joyce passera son été à écrire leur histoire, comme le lui avait prédit Jim avec tendresse.

  Ce récit est touchant et triste bien évidemment, mais il n'y a pas de pathos inutile. Peut-être a-t-il joué le rôle d'une catharsis pour notre narratrice?


jeudi 18 janvier 2018

Entre deux mondes, Olivier Norek, Michel Lafon, 2017, 414 pages.




  Rencontré l'an dernier lors de l'aventure du grand prix des lectrices de ELLE- je rappelle qu'Olivier Norek a été sélectionné en 2016 avec Surtensions pour la catégorie policier-, il promettait à ses lectrices enthousiastes un nouveau polar dans un tout autre univers.

   Ses premiers titres, Code 93, Territoires et Surtensions, se déroulent en grande partie dans ce département bien connu des services de police, le 93. Son dernier roman, Entre deux mondes, se passe tout d'abord en Syrie où nous découvrirons Adam, un des protagonistes de cette histoire. Ce début de roman est appelé FUIR.

    Le narrateur nous emmène ensuite à Calais, et c'est la deuxième partie intitulée ESPERER, que ce soit dans sa "Jungle" ou au commissariat, ou encore chez le lieutenant Bastien Miller, nouvellement installé dans cette ville avec sa femme dépressive et sa fille adolescente...

    Dans RESISTER, Adam et Bastien, le flic syrien et le flic français, vont se retrouver et unir leurs forces pour défendre un jeune garçon, "un petit Black qui s'est fait violer dans la Jungle."(p. 163) Les scènes décrites par Olivier Norek sont dures, mais il nous dit lui-même en prologue de son livre: "Face à la violence de la réalité, je n'ai pas osé inventer." L’écriture des romans de cet auteur est toujours empreinte de réalisme marqué d'authenticité. Ames trop sensibles, s'abstenir!

    L'intrigue nous tiendra en haleine jusqu'à l'épilogue: comment sauver Kilani, ce jeune Noir orphelin? Comment ne pas "sombrer" dans cet univers inhumain de haine et de violence? Comment "survivre?" Quelles solutions?...




jeudi 11 janvier 2018

Les Passeurs de livres de Daraya, Une bibliothèque secrète en Syrie, Delphine Minoui, Seuil, octobre 2017, 158 pages.



Delphine Minoui est grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient, Prix Albert Londres pour ses reportages en Irak et en Iran et parcourt le monde musulman depuis vingt ans. Elle vit actuellement à Istanbul.

 Elle découvre par hasard sur la page  Facebook "Humans of Syria" une photo étrange de "deux hommes de profil, entourés de murs de livres." La légende du cliché évoque une bibliothèque secrète à Daraya, banlieue rebelle de Damas, encerclée et bombardée depuis 2012 par les forces de Bachar al-Assad.

Sa curiosité de journaliste est éveillée et de relais en relais, elle va découvrir l'auteur de cette photo, Ahmad, 23 ans,l'un des cofondateurs de ce lieu. Elle va suivre alors le quotidien mouvementé de ces jeunes hommes qui ont compris l'importance des livres "pour sonder le passé occulté. Ils lisent pour s'instruire. Pour éviter la démence. Pour s'évader. Les livres, un exutoire." (page 28) "Ahmad et ses amis portent en eux cet instinct de survie par la culture." (page 30)

 Ils vont partager avec elle grâce à Skype ou WhatsApp (quand les réseaux le permettent )leur quotidien, leurs angoisses, mais aussi leur goûts littéraires et il faut absolument citer Mahmoud Darwich, poète palestinien décédé en 2008, qui, en particulier dans Etat de siège, avait déjà évoqué l'attente infernale des assiégés:

"Le siège, c'est attendre, 
  Attendre sur une échelle inclinée au milieu de la tempête." (page 118)

 Daraya finira par être détruite, les assiégés dispersés, les livres brûlés ou éparpillés au gré du vent, mais Ahmad garde un espoir "On peut détruire une ville, pas des idées." (page 145)

  Je termine actuellement un autre témoignage qui m' interpelle, celui du père Michaeel Najeeb, dominicain irakien, qui, ayant dû fuir Mossoul et la plaine de Ninive, réfugié à Qraqosh, y a sauvé des manuscrits et des hommes de toutes confessions: Sauver les livres et les hommes (paru en 2017 chez Grasset). Là aussi, le cri d'alarme est fort: comment ne l'entendons-nous pas?

jeudi 4 janvier 2018

La voix cachée, Parinoush Saniee, Robert Laffont, 2017, 376 pages.

    Ce gros roman se dévore d'une traite: l'adulte qu'est devenu Shahaab nous raconte qui il était lorsqu'il avait quatre-cinq ans; cet enfant qui ne parlait pas était le souffre-douleur des autres enfants qui le traitaient de "débile", mot qu'il pensait au début être un mot gentil... Son père, blessé dans son orgueil paternel, le traite avec impatience et un certain mépris que l'enfant ressent puissamment. Shahaab ne l'appelle jamais "papa", mais il nous le présente comme "le père d'Arash", son frère aîné.
Reste sa mère qui sent bien que son fils est "normal", mais qui ne comprend pas son mutisme. Écartelée entre père et fils, elle n'est pas toujours juste avec ce dernier. Elle fait également entendre sa voix dans ce roman.


  Quand Shahaab prend conscience des injustices commises envers lui, il sombre dans une violence aveugle et se venge des mauvais traitements et des punitions qui lui sont infligées: la famille de son père ne l'aime pas, il a l'impression que son père le déteste et que même sa mère ne le soutient pas. Il faudra la présence douce, patiente et pleine d'amour de sa grand-mère maternelle pour dénouer l'écheveau et apprendre à l'enfant à communiquer.

 Cette histoire vraie écrite par une auteur iranienne est extrêmement touchante: elle nous montre de manière vivante les difficultés de relation dans une famille et comment des parents peuvent être aveuglés par des pressions extérieures; l'enfant aurait pu être définitivement brisé sans l'intervention de Bibi, la précieuse grand-mère. Le fait que l'intrigue soit située en Iran nous montre également la difficile évolution de cette société. Les relations fille-garçon sont extrêmement surveillées par la police et les événements actuels nous témoignent de l'exaspération des jeunes devant un régime autoritaire.



 Le premier roman de Parinoush Saniee, publié en 2015, Le voile de Téhéran, roman d'une famille iranienne ordinaire, a été censuré en Iran et est devenu un best-seller international.