jeudi 29 décembre 2016

Destiny, Pierrette Fleutiaux, 2016, Actes Sud, 184 pages.

        Destiny, c'est le nom d'une femme "jeune, noire, enceinte" qui peine dans un couloir de métro parisien; Anne, jeune grand-mère affairée, prend le temps de s'arrêter et va accompagner sur un bout de sa vie cette femme originaire d'un pays d'Afrique de l'Ouest, venue en Europe sur une promesse d'emploi mensongère.

       Ce livre s'intitule "récit" et non pas roman: il y a un parfum d'authenticité, de situations vécues, de réalité. Le personnage de  Destiny est un symbole: il représente ces femmes qui laissent leurs enfants à la garde de leur famille au pays, pensant trouver l'Eldorado et qui vont ensuite errer de galère en galère...

      Son histoire est racontée par Anne à la troisième personne,et Pierrette Fleutiaux nous rapporte les pensées, les sentiments parfois contradictoires, souvent violents qui agitent Anne, un peu perdue dans la vie de Destiny, cherchant désespérément la meilleure façon d'aider cette jeune mère: "une vie de patachon"?"une vie de polochon"?   "et bien plutôt une vie de fétu de paille, qui s'accroche comme il peut à ce qui le sauve dans l'instant." (p.125)
       Comment agir? se demande Anne: le chapitre 56 évoque les divers visages de la Pauvreté et l'impuissance d'Anne à régler tous les problèmes qu'elle rencontre; "elle pourrait", "elle aurait pu"...

    Ce qui est très beau dans cette histoire, c'est la force de caractère de Destiny, persuadée d'avoir un "destin"... et également la rencontre entre ces deux femmes qui pourront établir une relation certes ténue mais réelle, par cette fragile communication en anglais, par les gestes posés par Anne, petits ou grands et par cette forme d'amitié respectueuse qui naîtra entre elles deux.


  Le récit est sobre, sans pathos comme il convient: l'évocation de la pauvreté qu'elle soit morale ou autre suffit à nous toucher.

jeudi 22 décembre 2016

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique Ovaldé, 2009, éditions de l'Olivier, 293 pages.

     Après avoir vu en décembre Véronique Ovaldé sur le plateau de La Grande Librairie, j'ai eu envie de découvrir son oeuvre: j'avais lu La grâce des brigands en 2013 sans être véritablement sous le charme... mais j'ai trouvé l'auteur pétillante et pondérée, pertinente à l'écran sans être pontifiante.

     J'ai emprunté dans ma médiathèque préférée un des romans plus anciens de Véronique Ovaldé et j'ai passé un excellent moment en compagnie de Vera Candida:le prologue du roman nous présente
 l' héroïne éponyme retournant à Vatapuna, son pays natal? à quarante ans.

  Il s'agit d'une histoire de femmes, de mères plus exactement, de grossesses plus ou moins désirées (plutôt moins que plus d'ailleurs) mais accomplies. Vera est élevée par sa grand-mère Rose qui a eu tardivement une fille prénommée Violette, un peu simplette, dont le père est une sorte de bandit, Jéronimo.

  Au-delà de la symbolique des prénoms, ce qui est plaisant, c'est la force mentale de ses femmes qui résistent aux tourments de leurs vies plutôt ballottées, leur désir de transmettre cet élan de vie; ceci est particulièrement vrai pour Vera dont la vie tumultueuse nous est retracée dans les quatre parties de ce livre bien structuré.

  J'ai apprécié le style à la fois élégant et clair, maniant prosaïsme et parfois une forme de poésie comme dans l'expression "goûtant la fraîcheur pourpre (les bougainvillées qui mangent les façades des bâtiments de la place)" page 124.

  Ce roman a été couronné par plusieurs prix dont le Prix Renaudot des lycéens en 2009 et le grand prix des lectrices de ELLE en 2010. Je me promets de lire le cru 2016 au titre alléchant, Soyez imprudents les enfants.


jeudi 15 décembre 2016

L'ombre de nos nuits, Gaëlle Josse,

      Roman  entre Lunéville en 1639 et Rouen en 2014...

        A Lunéville deux narrateurs: le peintre Maître de la Tour et son deuxième apprenti, doué et reconnaissant envers l'homme qui l'a recueilli alors qu’il était dans la détresse. Ils nous racontent la genèse du tableau actuellement au musée des Beaux-Arts de Rouen, Saint Sébastien soigné par Irène. "Il ne lui en restera qu'une flèche, dans la cuisse, celle  qu’Irène cherchera à lui retirer. Toute la lumière se concentrera autour des mains de la jeune fille et de ce trait, et l'essentiel sera ce visage de la compassion, d'intense attention que montrera Irène .Le visage de Claude, mon aînée, sera à même d'épouser cette expression. Elle lui est naturelle." (P.41)

   A Rouen, une narratrice, une femme, éperdument amoureuse d'un homme marié soit disant sur le point de divorcer... mais l'amour n'est pas vraiment équilibré dans ce couple et vite la jeune femme souffre...

  Le lien entre les deux parties ne saute pas aux yeux de prime abord, mais s'éclaire petit à petit.
  La langue de Gaëlle Fosse est belle, fluide et nous permet de pénétrer sur la pointe des pieds dans l'univers de Georges de la Tour, ce peintre de la lumière et de l'ombre ainsi créée.

dimanche 4 décembre 2016

Libertango, Frédérique Deghelt, 2016, Actes Sud, 304 pages.


       Ce roman nous raconte l'histoire de Luis, handicapé de naissance, mal aimé de sa famille et qui s'échappe de ce qui l'oppresse par la musique. "La vie est à portée de notre émotion, il suffit de s'en saisir".(p.28)

       Il retrace au soir de sa vie les grandes étapes  qui l'ont conduit à devenir un prestigieux chef d'orchestre . Il a accepté d'être interviewé par une jeune journaliste qui l'enregistre et  le filme avec délicatesse.
     De très belles pages dans l'évocation de son grand amour Émilie, musicienne également , et dans la constitution de son orchestre "l'orchestre du Monde", né d'un désir d'amener la musique dans des endroits improbables. Les répétitions peuvent aussi bien avoir lieu dans des terrains vagues "la beauté est cet amour où le mesurable n'est plus"(p.203) et l'orchestre se produit là où la violence et les armes résonnent.

 Que signifie le mot libertango? Créé avec le mot espagnol libertad et le mot tango, ce mot-valise désigne une "musique qui incarne la mélancolie de la perte tout autant que l'extraordinaire pouvoir de renaissance des hommes" (p.278)

 Un très beau roman sur la musique bien sûr, mais aussi sur le dépassement de soi et du handicap.


jeudi 1 décembre 2016

Laetitia, Ivan Jablonka, 2016,Seuil, 366 pages.

      Ce document est très sérieusement renseigné, sérieux et il se lit aisément malgré sa taille.
       Mais le sujet est si grave que j’ai trouvé néanmoins ce livre difficile à terminer. Je l’ai lu par bribes, ayant besoin de respirer !
 
         On sent beaucoup d’émotion chez cet auteur professeur d’histoire à la fac, donc écrivain rigoureux. Sans aller jusqu’à parler d’identification, on perçoit que Ivan Jablonka fait un parallèle entre les vies de Laetitia et de Jessica sa jumelle, et la sienne et celle de sa famille. Deux vies ballotées pour les deux sœurs, celle de Laetitia  se terminant tragiquement ! L’auteur manifeste beaucoup d’estime et d’admiration pour Jessica qui continue à vivre pour deux.  Page 334 : « Jessica a seulement besoin de sa sœur et celle-ci repose, en six morceaux sous le marbre rose. La gémellité est un équilibre infiniment subtil : sans la « faible », la « forte » se retrouve perdue. »

        Ce qui est véritablement dur dans ce livre, c’est bien sûr le meurtre épouvantable de Laetitia et la personnalité de son meurtrier qui ne manifeste jamais aucun regret, et qui se moque ouvertement des policiers et de leurs recherches. J’ai hésité avant de le mettre sur le blog car c’est un livre qui peut heurter. Les sensibilités trop à fleur de peau éviteront cette lecture intéressante au demeurant, mais noire comme la couverture du livre.