L’homme était parti de chez lui
au petit matin de ce 24 juin 18.., même avant l’aube. Il semblait à la fois
pressé et nonchalant. Il était vêtu
sobrement, coiffé d’un grand chapeau qui avait dû séjourner longtemps dehors,
au soleil ou sous la pluie. Il portait un grand sac qui paraissait encombrant.
On ne pouvait deviner ce qu’il transportait, car ce sac était informe. Ce
promeneur, –solitaire compte-tenu de l’heure extrêmement matinale-, marchait
sur un sentier, sorte de petite promenade qui jouxtait la grande Creuse. La
rivière était encore sombre, le vert de
son eau profonde se chargeait de gris. L’homme y jetait des
coups d’œil rapides, cherchant on ne sait quelle apparition d’ondine ou de
créature mystérieuse de l’aurore. Des lambeaux de brouillards s’effilochaient
sur les haies. La rosée perlait sur les feuilles et tout l’univers baignait
dans une atmosphère humide. Les parfums étaient encore ténus.
Le sentier bifurquait à angle droit et quittait alors le cours de la
Creuse pour se perdre dans les prés encore marqués par toute cette fraîcheur.
Le marcheur ralentit son allure, sembla
hésiter à poser son fardeau : il jetait toujours ces étranges coups d’œil
tout autour de lui mais poursuivit son
chemin. Un œil extérieur l’aurait jugé pressé, rapide, déterminé sans être
hâtif. On apercevait au loin un petit pont
en pierres qui marquait l’horizon d’une ligne courbe et dominait la rivière. Le
sentier devait y conduire après quelques détours. Ce pont pouvait être le but
de notre promeneur.
Les rayons du soleil commençaient à poindre à travers la brume matinale,
laissant comme des doigts de fée sur leur passage. Le promeneur levait la tête,
dressant l’oreille, guettant on ne
savait quel bruit … Il changea son sac d’épaule, frotta l’épaule blessée, et
hésita à poursuivre. Ce sac devait être lourd et il était vraiment volumineux,
avec des formes bizarres. Des bruits lointains se faisaient entendre
maintenant, évoquant la reprise de l’activité humaine et animale : chants
des oiseaux, voix s’interpellant, essieux grinçants… tout cela ne troublait pas
néanmoins notre marcheur promeneur qui était absorbé par la contemplation de la
rivière et de ce qui l’entourait.
Le sentier longeait à nouveau la rivière et l’homme qui avait
repris son sac sur l’épaule, intéressé par la masse d’eau sombre, avait quitté
le chemin de terre pour se diriger vers la rive. L’eau reflétait mollement les
premiers rais de lumière et prenait des teintes changeantes, semblant rouler
des secrets d’éternité ; elle n’était plus verte, ni grise, mais brune, très foncée avec des accents rougeâtres comme
les talus qui l’encadraient de toute leur hauteur ; elle impressionne par
le courant fort à ce niveau ; le pont semble à portée de main à présent et
sa masse sombre donne une dimension tourmentée au paysage. Sous le pont coule
la rivière, l’homme semble enfin avoir
trouvé le but de sa quête et il s’apprête à poser son sac.
C’est alors que des voix se rapprochent, il paraît contrarié mais pas
inquiet : deux voix se répondent, l’une jeune, enfantine, l’autre plus
grave et posée. Les passants arrivent, ils vont se croiser dans peu de temps.
Alors l’homme pose résolument son sac et attend : au détour du
chemin, il voit arriver une petite fille qui danse en marchant et un homme âgé
lui donnant la main. L’homme âgé eut un sursaut de frayeur en apercevant la
silhouette, reprit ses esprits et lança :
- - Bonjour,
Monsieur Monet !
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