jeudi 27 octobre 2016

Abraham et fils, Martin Winckler, 2016, P.O.L, 565 pages.

   Ce gros roman se lit très aisément grâce à une intrigue bien montée et des personnages attachants.

    Il y a plusieurs narrateurs dans ce livre : le premier, facile à identifier, est Franz, fils d’Abraham.  Ce jeune garçon arrive avec son père dans une petite ville de province en 1963. Le père vient de reprendre un cabinet de médecin. Le père et le fils sont d’emblée fort sympathiques. Le garçon a subi un gros traumatisme dont il a oublié les circonstances que nous découvrirons au fil de la lecture.  Sa mère est absente, on suppose qu’elle est morte.

  L’autre voix est plus intrigante. Un « je » apparaît à la page 75 : « je pense qu’un homme n’est pas fait pour vivre seul » ou page 114 : « Je les ai vus tous trois.. » L’identification de ce deuxième narrateur s’opère à la fin du roman. C’est ce que je pense être une des faiblesses du roman, car ce n'est pas crédible.

  Franz m'a beaucoup plu comme personnage: c'est un intuitif, assez solitaire au début; scolairement brillant, il lui faut s’affirmer face aux jaloux. Il est passionné de lecture (comme je le comprends!) et dévore tout les invendus de la librairie de la bourgade et tous les livres de la petite bibliothèque. 
La lecture lui permet de répondre à certaines de ses interrogations mais suscite aussi nombre de questions, entre autres celle de la mort: "...je suis en train de lire qu'un personnage est blessé et meurt, sans qu'on sache pourquoi.
  Enfin, dans les livres, je sais pourquoi. Parce que la personne qui a écrit ce livre a choisi de faire comme ça. Moi, il y en a que je n'aurais pas laissé mourir." (p. 282)
  En furetant dans leur vieille maison, il va découvrir un mystérieux carnet... qui contient de magnifiques lettres d'amour. Cette découverte va permettre la résolution d'une énigme qui aurait pu s'avérer douloureuse.

   Deux personnages féminins interviennent et jouent en quelque sorte le rôle des bonnes fées : Claire Delisse (quel nom approprié !) et sa fille Luciane, un peu plus âgée que Franz. On passe un bon moment en lisant les aventures de ces quatre personnages.

     Winckler est sûrement un écrivain imprégné de culture classique. On retrouve des échos de Rimbaud et bien sûr de tous les auteurs cités à la fin de son ouvrage. J’ai apprécié son style à la fois classique dans sa syntaxe mais également contemporain pour la fluidité de la langue.
  A suivre! nous dit l'auteur... sous le titre alléchant: Les Histoires de Franz.
   


jeudi 13 octobre 2016

Le chagrin des vivants, Anna Hope,2016 pour la traduction française, Gallimard, 384 pages.



   Ce premier roman traduit de l’anglais narre à travers le point de vue de trois femmes les jours qui précédèrent l’arrivée en Angleterre du cercueil du « Soldat inconnu » et la journée d’accueil du cortège funéraire, journée vécue par toute la nation. Les protagonistes sont donc Ada, qui a perdu son fils Michael, Evelyn qui n’a plus de fiancé mort pendant la guerre, et Hettie dont la vie a été bouleversée par le retour d’un frère profondément perturbé.

     Sont insérés en italiques les passages relatant tout d’abord la recherche par les autorités militaires anglaises d’un cadavre non identifié et non identifiable, puis les points de vue d’autres personnages anonymes : une veuve avec son fils par exemple, une famille. Cette mise à distance par l’anonymat permet d'accroître la portée de cette venue, de comprendre davantage l’émotion soulevée par l’évènement.

    Le récit est parfois un peu long (maladresse de premier roman ?), mais il contient des passages magnifiques et très émouvants ; par exemple, page 281, un passage concernant Jack, le mari d’Ada. Ils ont donc perdu un fils et Ada ne vit que dans le souvenir. Son deuil n’est pas fait, mais une femme va l’aider à avancer : « Regardez votre mari, dit la femme. Voyez ce que vous y trouvez. Il vit. Il est vivant. Il veut être vu. »
    De même, la tendresse de Dora, petite fille qui va calmer son père lors d’une de ses crises d’angoisse : « Mon papa ?
   Il tremble violemment à présent, pourtant elle grimpe sur se genoux et lui passe les bras autour du cou. Elle este assise là, les bras serrés autour de lui, attendant qu’il s’immobilise. » (Page 287)

  Le titre s’explique lorsque la foule se rassemble le 11 novembre 1920 autour du cercueil du Soldat Inconnu, comme une communion : « Son fils n’est pas à l’intérieur de cette boite. Et pourtant elle n’est pas vide, elle est pleine d’un chagrin retentissant : le chagrin des vivants. » (page 364)
  Les personnages féminins sont très émouvants. Ils sont tous éprouvés par la perte d’un être cher et cherchent à survivre.

  Ce roman bien documenté est intéressant également pour l’éclairage historique apporté sur cette période.
  Roman agréable à lire et touchant !













jeudi 6 octobre 2016

L'archipel d'une autre vie, Andreï Makine, L'archipel d'une autre vie, Seuil, août 2016, 283 pages.

  Makine, élu à l'Académie Française en mars dernier, sera reçu sous la Coupole le 15 décembre. Célèbre depuis la parution de son roman Le  testament français (prix Goncourt et prix.Médicis en 1995..), ce romancier sibérien, naturalisé français en 1996, nous propose en cette rentrée littéraire un roman éblouissant avec L'archipel d'une autre vie:

  Il met en scène un adolescent qui est un peu lui-même, revenant aux confins de l'Extrême Orient russe sur les traces de son enfance, enfant de prisonniers, n'ayant que peu de souvenirs de sa mère. Cet adolescent va suivre "un homme à capuche" qui va s'avérer être le héros de ce roman, Pavel Gartsev, que Makine a réellement connu.

   L''histoire démarre dans le cadre d'une simulation de Troisième Guerre Mondiale. Ces simulations seraient restées "paisibles", si une traque à l'homme, d'un criminel "armé et prêt à tuer" (page 73) n'avait été déclenchée sur le fond immense de la taïga. Ils partent à cinq, tous choisis pour des compétences différentes, en se disant que cette chasse va être rapide. Il s'avérera que le fugitif va avoir plus d'une ressource. Et cette traque va prendre pour certains une autre tournure: "Notre vie concentra une manière d'existence que tout homme aurait pu nous envier... Celui que nous poursuivions était devenu indispensable à ce bonheur simple. Car il s'agissait bien de bonheur!" (page 139).
    Les hommes vont être blessés et évacués au fur et à mesure et il ne restera  que Pavel derrière le fugitif. Épuisé, il tombera malade avant de découvrir l'identité de cet être mystérieux qui va le secourir...

 Des pages magnifiques célèbrent la beauté sauvage de ces paysages plus que grandioses, tout particulièrement à la fin du roman lorsqu'il s'agit de l'archipel des Chantars "Une planète à part où, à quelques mètres de distance, en contournant une falaise, on changeait de mer, de ciel, de saison."

   Un très beau roman,évoquant des sentiments puissants, pour l'instant mon préféré de la rentrée littéraire!