jeudi 26 octobre 2017

Journal d'un vampire en pyjama suivi de Carnet de Board, Mathias Malzieu, Le livre de Poche, 2016-2017, 312 pages.

Mon dernier article (jeudi 19 octobre) citait donc le Journal de Board de Malzieu, chronique tenue par l'écrivain lors de sa pérégrination en Islande: en effet, il s'était promis de traverser l'Islande en skate "board" s'il se sortait de cet enfer de la maladie.Pour mémoire, je cite l'article rédigé sur le Journal d'un vampire en pyjama, document récompensé par le Prix des lectrices de ELLE en 2017.


      Mathias Malzieu apprend qu’il est atteint d’une maladie assez rare et très grave, l’aplasie médullaire, autrement dit arrêt du fonctionnement de la moelle osseuse ; il n’a pas encore quarante ans… le traitement est lourd et son efficacité n’est pas garantie.
Son journal ( 6 novembre 2013- 24 décembre 2014) nous relate son combat. Il se bat avec ses armes, c’est-à-dire tout d’abord une bonne dose d’humour et en tenant ce journal. Pour lui, la « seule possibilité de résister, c’est d’écrire. » et il écrit bien ! Maniant à la fois la poésie et les jeux sur la langue, comme l’évocation de « Dame Oclès », ou dans le bel éloge qu’il fait des infirmières page 116 : « Les infirmières portent en souriant des armoires à glace émotionnelles sur leur dos en souriant. Ce sont les grandes déménageuses de l’espoir. … elles sont cigognes-mamans-nymphes-filles. Elles gagnent à être (re)connues. »
La création artistique reste indispensable aussi à son moral : « j’ai la rage de créer. Mettre à distance la réalité pour mieux l’affronter m’est aussi vital que les transfusions de sang. (p. 141) « organiser ma résistance en mobilisant les ressources de l’imagination ». (p.39)

Comment ne pas parler du rôle de l’entourage, si précieux dans ces moments très difficiles à vivre ? Rosy sa compagne, son père si touchant, sa « grande petite sœur ». Sans pathos, il évoque les relations avec chacun durant les épreuves endurées, les espoirs et les crises de rage ou de désespoir…

Un très beau livre, porteur d’espérance… une vraie leçon de courage  racontée avec verve.
A lire absolument par tous!

 GuériMathias Malzieu part donc pour l’Islande le 26 août 2016 avec une planche à moteur électrique avec batterie au lithium nommée "Rosy One". Il va avoir quelques difficultés avec le fonctionnement de ce bijou, finalement pas si pratique que cela pour skater au pays des volcans. Heureusement, il y aura Rosy Two!

  Son journal est plaisant à lire pour le périple qu'il représente et on peut saluer la ténacité de Malzieu en butte à un univers bien différent du bitume parisien. De Reykjavík à Akureyri et jusqu'au cercle polaire, il découvre des paysages surprenants et splendides, ayant même la chance la veille de son départ de contempler une aurore boréale!

  J'avoue que le lire après Sur les chemins noirs de Tesson n'était pas une bonne idée: leurs visées et leurs propos sont trop différents et la comparaison n'est pas, à mon goût, flatteuse pour Malzieu. Il reste néanmoins une belle découverte de ce pays si étrange et d'une belle victoire sur la maladie.





jeudi 19 octobre 2017

Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson, Gallimard, 2016, 142 pages.

  Le titre de ce livre de Sylvain Tesson m'a séduite: il me renvoie à mon enfance et à un fameux petit chemin que nous empruntions, frères et sœurs, cousins, lors de nos déambulations en Normandie chez notre grand-père. Ce chemin noir se dissimulait sous de sombres conifères, il avait un côté mystérieux et parfois inquiétant pour la petite fille que j'étais...

  Les chemins noirs de Tesson ne sont pas inquiétants, mais cachés au regard des automobilistes pressés: ce sont ceux de ce que l'on appelle "l'hyper ruralité" où le haut débit, les rocades et autres ronds-points n'ont pas encore investi tout le paysage. Il faut parfois les chercher car les agriculteurs les ont aussi "empruntés" dans un souci de rendement plus important. Ce sont des sentiers ruraux, des pistes pastorales... "Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer entrer dans la géographie."(p.33)

 Notre marcheur émérite nous pose les besoins de cette marche: une année difficile avec la mort d'une mère aimée, et une  reconstruction pénible et douloureuse après cette chute "d'un toit où je faisais le pitre" (p.15). Après des nuits de souffrance, celui qui avait eu une santé éblouissante se jure "Si je m'en sors, je traverse la France à pied." (p.17)

Tesson nous raconte avec l'art qu'on lui reconnait les difficultés de cette marche, de ce corps qui souffre, du sommeil qui le fuit. Périple en grande partie solitaire, les amis de toujours le rejoignent parfois pour un bout de chemin (noir) comme Cédric Gras (chapitre 3) ou Humann, autre compère qui tombe à pic pour accompagner à l'hôpital notre écrivain terrassé par une crise d'épilepsie..., ou Thomas Goisque encore.

 Le plus drôle reste le bivouac avec Daphné, sa sœur, qui n’avait jamais dormi à la belle étoile, et qui fut accueillie par une attaque de frelons dérangés sans doute par le feu de camp installé sous leur nid.
"Il suffisait de ne pas bouger mais Daphné préféra courir vers la tente en hurlant. Elle se réfugia dans son sac de couchage où une araignée l'attendait. Des frelons se glissèrent dans le double toit de la tente et les choses devinrent alors extraordinairement incontrôlables."(p.111)

  Troisième livre de Sylvain Tesson (ou quatrième?) dont je parle sur mon blog, j'apprécie toujours cette autodérision qu'il manifeste, son style fluide et élégant, et la posture qu'il adopte: cette marche fut une véritable thérapie, "le destin m'accordait la grâce de marcher à nouveau tout mon soûl" (p.141) et le constat qu'il pose sur notre territoire reste positif: " il demeurait des chemins noirs. De quoi se plaindre?"


  Je vous parlerai bientôt de Mathias Malzieu et de sa traversée de l'Islande en skate: la démarche est un peu la même.

jeudi 12 octobre 2017

Douleur, Zeruya Shalev, éditions 2017 pour la traduction française, 401 pages.

    Le titre de ce roman peut nous effrayer ou nous rebuter: certes, Iris a souffert physiquement puisqu'elle s'est trouvée lors d'un attentat au mauvais endroit au mauvais moment; cela fait déjà dix ans, mais les séquelles sont encore là. Elle a quarante- cinq ans au début du roman, est maintenant l'épouse de Micky, la mère de deux adolescents, une fille, Alma, qui a environ dix-huit ans et un garçon un peu plus jeune, Omer.

  Les douleurs la faisant à nouveau beaucoup souffrir, elle décide de se rendre à la consultation d'un médecin dont on lui a dit grand bien: peut-être saura t-il la soulager.
  Elle reconnait Ethan, son amour de jeunesse, qu'elle aime encore. Elle n'est pas sûre qu'il ait reconnu dans cette femme souffrante la jeune fille qu'il aimait.
  Elle le reverra et ils pourront à nouveau échanger promesses et embrassements. Mais Iris est maintenant concernée par l'avenir de ses deux enfants et elle hésite à mettre en péril un équilibre assez précaire trouvé par la famille, d'autant plus qu'Alma traverse une grave crise de rejet  et qu'elle leur semble être sous l'emprise d'une sorte de gourou.

  Au delà de la question de la fidélité et de l'adultère, il y a dans ce roman une vraie épaisseur des personnages et tout particulièrement du personnage féminin central. Elle s'interroge en profondeur sur les actes qu’elle doit effectuer et les répercussions de ceux-ci. C'est aussi sans doute une des raisons du titre car Iris devra poser des choix qui lui causeront une vraie douleur morale ou affective.
  Les pensées et les sentiments de cette femme nous sont restitués avec beaucoup de vérité, même si le contexte est différent de celui que nous côtoyons habituellement.

 J'ai beaucoup aimé ce livre, beaucoup moins la couverture qui ne correspond en rien à l'intrigue du roman. Couverture commerciale?


vendredi 6 octobre 2017

La porte, Magda Szabo, 1987, Viviane Hamy, août 2003 pour la traduction française, le Livre de Poche, 345 pages.

  Ce roman appartient à la littérature hongroise et pourrait s'intituler le livre du remords.

  Il s'agit bien d'un confession et elle démarre en ces termes"j'ai vécu avec courage, j'espère mourir de même, avec courage et sans mentir, mais pour cela, il faut que je dise: c'est moi qui ai tué Emerence." (p. 10)

 L 'atmosphère du livre est assez pesante tout comme le rêve de la narratrice: en effet, elle fait toujours le même rêve d'une "porte cochère au verre armé inexpugnable, renforcée d'une armature de fer, et j'essaie d'ouvrir la serrure". (page 7 et dernière page du roman.)

  De quoi s'agit-il? notre narratrice, écrivain qui peut enfin exercer pleinement son travail grâce à l'évolution du climat politique, recrute pour la soulager dans les tâches matérielles une femme âgée, Emerence, qui va s'imposer dans la maison ( c'est elle qui choisit ses employeurs, son emploi du temps, ses horaires, ses activités...) et lier des relations de maternage vis à vis de son employeur. Un amour progressivement  s'installe entre elles que tout oppose:le niveau social, l'éducation, le travail, les centres d'intérêt.

  Emerence, personnage principal du roman,  a eu une vie marquée par la tragédie: son père meurt quand son épouse attend des jumeaux, ceux-ci vont mourir foudroyés et la mère va se suicider. Sa vie amoureuse est aussi un échec, et sa fin sera également tragique...

  L'intérêt de l'oeuvre réside dans la beauté des sentiments entre les deux femmes, dans l'évocation d'un climat politique bien différent de ce que nous connaissons et  dans ce lien qui existe sans doute entre cette narratrice et Magda Sazbo qui a probablement vécu les mêmes difficultés que l'écrivain du roman.

  Un livre puissant remarquablement bien traduit.
 Merci à Geneviève pour son analyse si pertinente!