Le titre de ce livre de Sylvain Tesson m'a séduite: il me renvoie à mon enfance et à un fameux petit chemin que nous empruntions, frères et sœurs, cousins, lors de nos déambulations en Normandie chez notre grand-père. Ce chemin noir se dissimulait sous de sombres conifères, il avait un côté mystérieux et parfois inquiétant pour la petite fille que j'étais...
Les chemins noirs de Tesson ne sont pas inquiétants, mais cachés au regard des automobilistes pressés: ce sont ceux de ce que l'on appelle "l'hyper ruralité" où le haut débit, les rocades et autres ronds-points n'ont pas encore investi tout le paysage. Il faut parfois les chercher car les agriculteurs les ont aussi "empruntés" dans un souci de rendement plus important. Ce sont des sentiers ruraux, des pistes pastorales... "Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer entrer dans la géographie."(p.33)
Notre marcheur émérite nous pose les besoins de cette marche: une année difficile avec la mort d'une mère aimée, et une reconstruction pénible et douloureuse après cette chute "d'un toit où je faisais le pitre" (p.15). Après des nuits de souffrance, celui qui avait eu une santé éblouissante se jure "Si je m'en sors, je traverse la France à pied." (p.17)
Tesson nous raconte avec l'art qu'on lui reconnait les difficultés de cette marche, de ce corps qui souffre, du sommeil qui le fuit. Périple en grande partie solitaire, les amis de toujours le rejoignent parfois pour un bout de chemin (noir) comme Cédric Gras (chapitre 3) ou Humann, autre compère qui tombe à pic pour accompagner à l'hôpital notre écrivain terrassé par une crise d'épilepsie..., ou Thomas Goisque encore.
Le plus drôle reste le bivouac avec Daphné, sa sœur, qui n’avait jamais dormi à la belle étoile, et qui fut accueillie par une attaque de frelons dérangés sans doute par le feu de camp installé sous leur nid.
"Il suffisait de ne pas bouger mais Daphné préféra courir vers la tente en hurlant. Elle se réfugia dans son sac de couchage où une araignée l'attendait. Des frelons se glissèrent dans le double toit de la tente et les choses devinrent alors extraordinairement incontrôlables."(p.111)
Troisième livre de Sylvain Tesson (ou quatrième?) dont je parle sur mon blog, j'apprécie toujours cette autodérision qu'il manifeste, son style fluide et élégant, et la posture qu'il adopte: cette marche fut une véritable thérapie, "le destin m'accordait la grâce de marcher à nouveau tout mon soûl" (p.141) et le constat qu'il pose sur notre territoire reste positif: " il demeurait des chemins noirs. De quoi se plaindre?"
Je vous parlerai bientôt de Mathias Malzieu et de sa traversée de l'Islande en skate: la démarche est un peu la même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire