jeudi 29 mars 2018

Il reste la poussière, Sandrine Collette, éditions Denoël 2016, 3012 pages.

  Quel roman!

   Un petit garçon poursuivi par ses trois frères à cheval dans une plaine de Patagonie: Rafaël, le plus jeune garçon de la fratrie, a été pris en grippe par les aînés, des jumeaux, brutes épaisses, et Steban, le troisième, les a suivis au début dans ces brimades perpétuelles. "tous les trois contre la petite chose qui venait alourdir le travail, car la mère y passait de temps".(page 40).
  Mais l'alliance s'est ensuite modifiée: Steban et Rafaël, celui qu'on appelle le petit,  ont uni leurs forces. Les seuls amis du petit sont son cheval et son chien.

  La mère est dure: elle tient d'une main virile les rênes de l'exploitation depuis la mort du père (mort d'ailleurs dans des circonstances assez suspectes...), elle distribue le travail du matin au soir sans oublier les taloches ni les réprimandes s' il y a erreur ou manquement. Pas d'affection à attendre de sa part car elle ne pense qu'à la rentabilité précaire de sa ferme. Elle s'autorise néanmoins, les jours où elle va en ville avec un des jumeaux pour vendre ou acheter, à aller jouer au poker avec les hommes et à boire de façon tout à fait excessive.

 Elle va perdre (!) au poker un des jumeaux, Joaquin, le moins fort des deux. Il est désespéré, mais finira par découvrir en travaillant chez Eduardo une forme de liberté dont il ne disposait pas auparavant. L'autre conséquence, c'est que le travail de Joaquin est réparti sur les trois frères restants. Rafaël va commettre une grosse négligence qui aura des répercussions très importantes sur sa vie.

 Le cadre du récit est démesuré lui aussi, par son aridité et son immensité, celle de la steppe argentine. Les épineux y prolifèrent, le vent y souffle glacé, l'intrigue est haletante mais néanmoins le roman se clôt sur une bouffée d'espoir.

💓un roman qui vous tient jusqu'à la fin!

jeudi 22 mars 2018

Le domaine enchanté, Elizabeth Goudge, 1940, réédité en 2017 aux éditions Mercure de France, 298 pages.

  Les éditions Mercure de France ont eu une riche idée en rééditant ce roman; Elizabeth Goudge avait bercé mon adolescence et je retrouve en relisant Le domaine enchanté l'atmosphère si particulière de certains romans  anglais ou de certains films comme Orgueil et préjugés pour ceux qui n'ont pas lu Jane Austen.

  Les cœurs  sont les mêmes, les sentiments et les passions s'emparent de la même façon des hommes en 1940 ou en 2018. C'est sans doute dans la façon d'y répondre que nous avons beaucoup changé. La question est de savoir si c'est une évolution réellement positive.

  Lucilla a acheté une maison avec un jardin "enchanté" et elle y a élevé un de ses petits-fils, David. Quand le roman démarre, elle y accueille une fratrie de trois autres petits-enfants dont les parents sont en train de divorcer. il s'avère que David maintenant adulte vient souvent la voir en weekend, et lors d'une de ces visites, il avoue à sa grand-mère ce qui fait à la fois sa joie et son tourment. Je ne peux dévoiler l'intrigue, mais simplement je peux dire que l'atmosphère si particulière de cette maison "Tradition. Mais une tradition particulière. Une tradition de fidélité." (page 221) va contribuer au dénouement.

 Les descriptions sont intégrées au récit et sont utiles à la compréhension de la narration. Elles nous permettent de nous représenter cet univers si parfaitement anglais, et particulièrement représentatif d'une époque.

  Sans être nostalgique systématiquement du temps passé,  j'ai trouvé la lecture de ce roman rafraîchissante!


jeudi 15 mars 2018

Abigaël, Magda Szabo, 1970, éditions Viviane Hamy pour la traduction française, 2017, 418 pages.

    J'ai découvert Magda Szabo, grand écrivain hongrois, avec la lecture de La Porte (article du 6 octobre 2017); avec Abigaël, roman initiatique, c'est un pur moment de bonheur!

  Gina a quinze ans, vit à Budapest avec son père, la sœur de son père, et une gouvernante française, Mademoiselle Marcelle, sa mère étant morte quand elle avait deux ans. Mais son père, le général Vitay, se trouve dans l'obligation de la mettre en pension; la raison ne nous en est pas donnée tout de suite.

  Elle explore l'univers du pensionnat calviniste Matula, est tout d'abord bien entourée par les autres filles de sa classe: elle fait la connaissance d'Abigaël, une statue du jardin, qu'on lui décrit comme la protectrice des lieux. Cependant Gina va enfreindre une des "lois" tacites de la jeunesse et dévoiler aux adultes un des secrets de sa classe. Elle va alors être mise au ban, ignorée délibérément de ses compagnes, tristement en quarantaine. Profondément malheureuse, elle décide de s'évader. Sa tentative va lamentablement échouer, mais son père prévenu qu'elle va mal va venir la voir. Il lui explique alors pourquoi il l'a mise dans ce pensionnat si strict, et pourquoi il ne peut la ramener chez eux. Il lui demande si elle est capable de garder le silence sur ces raisons si graves.

 Notre petite Gina de quinze ans va devoir mûrir plus vite qu'à l'ordinaire: nous sommes dans un contexte de seconde guerre mondiale et le général joue un rôle important dans son pays.

  Elle va découvrir les notions de responsabilité et d'honneur tout en restant elle-même, une jeune fille dotée d'un caractère impétueux. Roman initiatique, Abigaël nous dévoile l'évolution passionnante d'une jeune héroïne tout en nous faisant découvrir un aspect mal connu de l'Histoire de la Hongrie.

  Un livre qui m'a enthousiasmée!💗


jeudi 8 mars 2018

Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant, 2017, Editions Héloïse d'Ormesson, 532 pages.



  La part des flammes, cela vous dit quelque chose? L'évocation de l'incendie du Bazar de la Charité à travers quelques figures féminines historiques ou fictionnelles nous avait transportés au dix-neuvième siècle. Avec Légende d'un dormeur éveillé,- Gaëlle Nohant nous fait découvrir (ou re-découvrir) le surréalisme à travers la figure de Robert  Desnos et l'oxymore du titre nous dit quelque chose de ce mouvement complexe.

  Il n'est pas le poète surréaliste le plus célèbre: on pense d'abord à Paul Eluard ou à André Breton mais c'est celui qu'affectionne notre auteur comme le souligne l'une des exergues:

  A Robert Desnos
  qui m'accompagne depuis l'adolescence.
par ce roman, j'ai voulu lui rendre
un peu de tout ce qu' il m'avait donné.


Ce gros roman, extrêmement documenté, est passionnant pour l'histoire littéraire, pour l'Histoire et pour l'aspect romanesque.
Tensions au sein du surréalisme avec André Breton en particulier, évocation des recherches de ce mouvement, description plus recherchée du Paris sous l'occupation et du rôle que Desnos a pu tenir dans la Résistance , histoires d'amour et surtout de Youki, tout d'abord femme et modèle du peintre japonais Foujita, puis muse de Desnos, celle qu'il appela la Sirène . La dernière partie de l'œuvre donne la parole à cette femme qui réalise l'amour qu'elle lui a porté et l'immense dette qu'elle a envers lui.

Des amies lectrices qui ne connaissaient pas ce poète m'ont dit tout le bien qu'elles pensaient de ce livre si imposant. Sa taille peut effrayer, mais il se lit de manière fluide. Il permet de découvrir aussi des fragments de l'écriture de ce "dormeur éveillé ".


jeudi 1 mars 2018

Eclipses japonaises, Eric Faye, Seuil, 2016, 225 pages.

En 2015, paraissait le roman Les évaporés,  fiction écrite par Thomas B. Reverdy.. Disparitions restées inexpliquées d'adultes au Japon.
Dans Éclipses japonaises, Eric Faye convoque d'autres fantômes: des Japonais, volatilisés dans les années 1970 aussi de manière inexplicable: des adultes mais également une collégienne, des hommes et des femmes de milieux différents.

  En 1987, une terroriste descendue d'un avion de la Korean air est arrêtée lors d'une escale à Berlin Ouest; son compagnon de route se donne la mort. Elle parle un japonais parfait, mais la police finira par identifier une espionne de Corée du Nord. Elle expliquera à celui qui l'interroge les objectifs de l'attentat: "provoquer des troubles au Sud; discréditer votre régime politique; saboter l'organisation des Jeux Olympiques; empêcher vos élections; et ainsi, vous ayant mis à genoux, faciliter la réunification sous la conduite de notre pays." (page 43)

  Vingt ans après, les enquêteurs feront le lien entre les deux affaires et on comprendra le pourquoi de ces enlèvements, permettant des retours inespérés au Japon...

  Eric Faye s'empare de la réalité avec brio et nous restitue grâce à la fiction un tableau saisissant de ces vies bouleversées. Un livre passionnant!



jeudi 22 février 2018

Le roman d'Ulysse, Simone Bertière, éditions de Fallois, 2017, 256 pages.

  Simone Bertière est professeur agrégée de lettres classiques et a écrit de nombreuses biographies après avoir été maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3.

  Dans la postface de son roman d'Ulysse, elle écrit qu'elle souhaite simplement offrir au lecteur non helléniste le moyen de faire plus ample connaissance avec L'Odyssée sous une forme renouvelée et attrayante.

  Elle imagine le retour d'Ulysse après la guerre de Troie et son errance de 10 ans, son arrivée à Ithaque; après avoir chassé avec vigueur les prétendants au trône, il s'installe à l'écart avec comme compagnie un jeune pâtre, Euphore. Celui-ci s'empare de la légende d'Ulysse et devient son aède. Ulysse lui raconte son périple et le jeune poète voit le parti qu'il peut  tirer de toutes ces aventures.

 Le côté sympathique d'Ulysse "l'homme aux mille ruses", c'est que le héros légendaire est un homme sous la plume de Simone Bertière: " Il ne se reconnaissait dans cette image trop simple, outrée, quasi caricaturale. Il se sentait lui, pétri de contradictions et il lui déplaisait de se voir érigé en modèle alors qu'il se rongeait de doutes." (page 228)

  Une réflexion pertinente et assez humoristique sur l'écriture est également le sujet de la conversation entre les deux hommes: l'écriture, c'est-à dire finalement la fin de la transmission orale, sera-t-elle la fin de l'épopée?

   " Tu veux notre mort, à nous les aèdes! notre oeuvre est une création continue; Aucun de nous ne chante deux fois le même poème. Du jour où nos œuvres seront écrites, c'en sera fini de notre art. Ne resteront que des rhapsodes déclamant un texte appris par cœur. Si brillants qu'ils soient, il leur manquera l'inspiration, le souffle du dieu quand il s'exprime par notre bouche." (page 200)

  Ce qui rend ce roman si actuel, c'est que les questions fondamentales sont abordées par Ulysse, pleinement homme. Il s'interroge sur l'amour, la mort, le pouvoir et sur le sens à donner à ce qui lui reste à vivre.


  Ce livre s'adresse à d'assez bons lecteurs qui n'auront pas de crainte à plonger dans l'univers antique et à se laisser charmer par les sirènes d'Ulysse.


jeudi 15 février 2018

Les Bourgeois, Alice Ferney, Actes Sud, 2017, 350 pages.

     Grande saga familiale, Les Bourgeois nous racontent la vie de personnages qui traversent l'Histoire, le Temps. Dix frères et sœurs nés entre 1920 et 1940 vivent, aiment, se marient, ont à leur tour des enfants, certains font la guerre, et meurent.Une narratrice, (l'auteur?) qui est un membre de la famille, se penche sur ses ancêtres et sur ceux qui sont en vie. Elle dispose bien sûr de la mémoire familiale, des récits de Claude, l'un des dix, (mon préféré), elle observe et décrit des photos familiales, imaginant les pensées et les sentiments de ceux qui apparaissent sur ces documents.

  Le récit commence le 9 novembre 2013 et s'achève le 5 avril 2015. Curieusement, le fil de la narration nous semblera chronologique mais il y a suffisamment d'allers et retours entre passé et présent pour que ce ne soit jamais ennuyeux, malgré la taille du roman.

  Les Bourgeois sont des représentants d'une famille aisée avec le style de vie qui correspond à une époque où il y avait du personnel de maison mais pendant laquelle les femmes mouraient souvent en couches. Ils réagissent comme on s'y attend vu leur éducation, mais des valeurs solides fondent cette famille. Les liens d'affection et de solidarité sont très intenses entre les frères et sœurs et la "tribu" se serre les coudes quand il y a des coups durs.

  A l'ère du féminisme à tout crin, la narratrice s'interroge sur la mère de famille, Mathilde qui "a mis au monde dix enfants. Sans doute a -t-elle été treize ou quatorze fois enceinte. Voilà qui nous semble ahurissant et même épouvantable (comme le nombre d'enfants qui mouraient dans toutes les familles). Ce qui fut une évidence pour Henri et Mathilde peut provoquer notre sidération et réciproquement ce qui nous parait naturel ne l'était pas forcément pour eux." Et, à la page suivante, notre narratrice de conclure: "Je regarde vers l’avenir, de nouveaux dangers se profilent, les technologies recèlent des aliénations. Je regarde vers le passé, je ne m'interdis pas d'imaginer Mathilde heureuse." (pages 78 et 79)

  Nous devrions écrire sur nos familles, car "la passé est derrière nos yeux, notre mémoire est nécessaire." Roman familial, il nous renvoie à nos racines et à ce qu'il pourrait être important de connaitre et de se souvenir, parce que cela nous constitue et que nous pouvons en transmettre une part.

Roman assez facile à lire; certaines amies lectrices m'ont dit avoir eu du mal à "entrer dans l'histoire". Peut-être faut-il se donner les 50 premières pages avant d'abandonner?