jeudi 23 février 2017

Tropique de la violence, Nathacha Appanah, 2016, Gallimard, 175 pages, sélection ELLE.

   Le roman de cette jeune écrivain est extrêmement émouvant tout en étant d'une violence infinie.

   Il est construit par des narrateurs successifs et le procédé peut désorienter.

   L'auteur va d'abord faire intervenir une jeune femme blanche, Marie,infirmière, quand elle a vingt-six ans, puis vingt-sept, avec toute une série d'anaphores, tout ceci très rapidement, jusqu'à son mariage, puis son divorce et enfin l'adoption d'un petit Comorien abandonné par sa jeune maman; la force du style tient à cette accélération du temps: tout ce qui est nécessaire à la compréhension du récit nous est dit, mais avec une économie de moyens très importante.

 L'intrigue se situe à Mayotte, "l'île aux enfants" (page 13); on sait que beaucoup de Comoriennes viennent accoucher sur cette île française pour que leurs enfants aient la nationalité française, donc sans doute une meilleure vie. Que de désillusions!

  L'enfant adopté,prénommé Moïse, dit Mo, l'un des narrateurs, suit un chemin classique au début: il va à l'école, sa maman lui raconte des histoires, son livre préféré est L'enfant et la rivière d’Henri Bosco. Mais un jour il reproche à sa mère de l'empêcher de vivre "sa vraie vie". Il est séduit par la personnalité de Bruce (autre narrateur), le chef des enfants dans le quartier de Kaweni surnommé Gaza, "bidonville, ghetto, dépotoir, gouffre, favela, immense camp de clandestins à ciel ouvert, énorme poubelle fumante que l'on voit de loin."(page 51) Celui-ci fournit cigarettes, drogues, bières et autres plaisirs. Moïse est dans le circuit et son destin semble alors inexorablement tragique: plus d'échappatoire possible, la désobéissance mène à l'affrontement, puis à la révolte... Cela conduira Mo au meurtre.

  C e qui est étonnant dans ce roman, c'est la prédominance du lyrisme malgré la dureté des situations vécues, que ce soit en prison page 42 "La nuit était silencieuse, épaisse et chaude. Elle se pressait contre moi et j'ai eu l'impression qu'elle pourrait m'avaler et que ce serait en douceur et tout doucement", ou l'évocation avec l'éducateur Stéphane du livre fétiche "Ouvrir ce livre c'était comme ouvrir ma propre vie, cette petite vie de rien du tout sur cette île, et j'y retrouvais Marie, la maison et c'était la seule façon que j'avais trouvée pour ne pas devenir fou, pour ne pas oublier le petit garçon que j'avais été."(page 127)

  Constat amer?  Un cri d'alarme de plus? La situation à Mayotte semble effectivement explosive mais je ne sais quel poids peut avoir cette fiction inspirée de faits réels vécus par des êtres de chair et de sang. Les politiques sont joliment traités dans le roman: des promesses avant les échéances électorales puis, passé le résultat du scrutin, le voile et l'oubli retombent sur l'île qui possède le plus beau lagon du monde...

  Une gêne pour moi à la lecture du roman: le choix fait par Nathacha Appanah de faire parler les morts; il semble que cela enlève une part de crédibilité à cette fiction.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire