jeudi 21 avril 2016

Comédie,ça a débuté comme ça, Fabrice Luchini, Flammarion, 2016.***/****

   L'acteur  nous raconte quelques souvenirs, quelques amours littéraires, c'est -à-dire ses textes préférés, à savoir Céline bien sûr, mais aussi La Fontaine, Molière et surtout son Misanthrope (pensez donc à Alceste à bicyclette!), ou encore Rimbaud et Le Bateau Ivre avec lequel il se collette, qu'"il aborde comme une langue étrangère".(p.139)  Le texte de cet ouvrage est aussi rapide que le flux de notre comédien: il ne s'agit pas de grande littérature, mais de traits d'un homme plein d'esprit. Le comédien s'entend d'ailleurs derrière les phrases alignées sur le papier. Quel amour de la langue et des mots!
  Si vous l'avez regardé "faire son cinéma" à La Grande Librairie, vous retrouverez bien le ton du livre. Amusant certes, mais sans doute un peu affecté parfois comme son auteur?
Avez-vous vu L'Hermine? excellent film et Luchini y est au mieux de sa forme.

L'omelette au sucre, Jean-Philippe Arrou-Vignod, octobre 1999, Galiimard jeunesse, folio junior.

    Une fois n'est pas coutume, voici un petit ouvrage destiné aux enfants à partir  de huit ans: vous avouerais-je que j'ai passé un très bon moment en compagnie de cette tribu de garçons dont les aventures sont narrées par le cadet, Jean-B?
     Une famille "normale", mais beaucoup d'humour et de légèreté: on assume ses bêtises et avec cinq garçons, on ne s'ennuie pas!
     Quelques illustrations ponctuent la lecture sans en briser le fil. Nul n'est besoin d'être un grand lecteur pour savourer ces chapitres!

babelio: l'omelette au sucre

jeudi 14 avril 2016

Room, Emma Donoghue, éditions Stock 2011 pour la traduction française, le livre de poche, 454 pages. ****/*****

     Quatre parties structurent ce récit haletant, parfois angoissant, effectué par Jack, narrateur âgé de 5 ans. Il a vécu avec sa mère, enfermés tous deux dans une pièce "room". Elle avait été enlevée sur un parking d'université par "le Grand Méchant Nick", séquestrée, violée à de multiples reprises.
      La première partie intitulée "Mes cadeaux" brosse le tableau de l'enfermement et toutes les stratégies mises en oeuvre par cette jeune femme pour élever son fils qui ne connait du monde que cette pièce et pense que l'univers se résume à une table, "Madame Table", un lit, "Monsieur Lit", un dressing "Petit Dressing"...
  La deuxième partie, "Pour de vrai", nous montre les difficultés que rencontre "Maman" pour expliquer à son fils le monde du Dehors.
     "Mourir", titre de la troisième partie, relate le stratagème dangereux mis en place par la jeune femme pour faire évader son fils et ainsi alerter la police.
       Quant à "Après", cette partie narre la difficile reconstruction des deux protagonistes.

       Ce roman fait parfois sourire malgré la gravité du sujet grâce au point de vue adopté, celui du petit garçon. Il possède un grand don d'observation, et ses remarques sont souvent pertinentes. On peut saluer aussi le travail du traducteur qui nous rend les jeux de mots effectués par le jeune garçon comme dans le bain: "elle me dessine une mousse-tache" (p.85),ou, les "a-mal-gésiques",(p.90),ou encore "on est peurageux, pas vrai? Très peurageux! On se retrouve dehors!" (p.196)

   Inspirée d'une histoire vraie, cette oeuvre est proposée dans le cadre d'un concours de lecture "croqu'en livres". Je lui décernerais sans doute le premier prix pour le rythme du récit, d'autant plus impressionnant que nombre d’événements sont authentiques.


   Un film dramatique a été réalisé et est sorti en 2015, adaptation du roman sur un scénario écrit par Emma Donoghue elle-même. Il a reçu de nombreuses distinctions.
Quelques informations sur le  film Room

jeudi 7 avril 2016

D'après une histoire vraie, Delphine de Vigan, J-C Lattès, 2015, 480 pages.****/*****

        Ce roman possède une construction assez étonnante:
     en effet, il recèle des indices d'autobiographie comme le prénom similaire de l'auteur et de la narratrice, de même pour celui de l'homme qui partage sa vie, pour les prénoms de ses enfants (qui ne sont en réalité pas des jumeaux...), il évoque le succès de son roman précédent:on pense bien sûr à Rien ne s'oppose à la nuit, roman déchirant qui relate la vie de Lucile, mère de Delphine de Vigan, les difficultés réelles pour se remettre à l'écriture après ce succès: quoi  donc écrire?
     D'autre part, nous sommes dans un roman: c'est clairement affiché par le titre et sur la page de couverture nous avons bien l'indication du genre"roman". Le personnage de L, cette femme qui joue un rôle tyrannique et destructeur auprès de Delphine, est-il une personne réelle ou un "être de papier"? Cet aspect du livre nous évoque une influence affirmée par la narratrice elle-même, l'influence de Stephen King dans son roman Misery.
     Un des intérêts de cette oeuvre est de laisser le lecteur s'interroger sur ce qui appartient à la fiction ou au réel. "Toute écriture de soi est un roman", (p.105) nous dit l'écrivain lui-même qui prend ce qui résonne en lui et l'utilise comme matériau d'écriture.
   La fin du livre est aussi source d'interrogation...
   Roman qui se dévore! son style est alerte, l'intrigue est prenante. Les prix obtenus, Renaudot  et Goncourt des lycéens 2015, sont  bien mérités.



dimanche 27 mars 2016

Gaspard, nouvelle, décembre 2015.


          Il était nuit lorsque Gaspard sortit silencieusement de sa chambre, attiré par une musique lointaine : quelques notes répétées de hautbois suivies de la montée menaçante des violons et des altos. Gaspard était intrigué par cette mélodie à la fois envoûtante et inquiétante. Il pénétra dans la chambre du bébé qui avait repoussé loin de lui tous les objets familiers de l’endormissement : ours et tétines gisaient de part et d’autre de son fils, mais un frémissement agitait la lèvre du petit dormeur, comme s’il marquait le rythme de l’air porté par la nuit noire.
       Onze heures  sonnèrent à l’horloge de l’église saint Camille, et un faible vent venu du sud agita les ombres des arbres de la rue des Docks. L’heure  assez tardive de ce jour de semaine avait découragé les derniers promeneurs attirés par la relative fraîcheur extérieure et le calme –hormis cet air lancinant qui continuait de se répandre- était absolu.
        Gaspard, journaliste d’investigation  à la vie trépidante,  était spécialisé dans les dossiers dits « sensibles ». Il savait qu’il menait une vie dangereuse, mais il était passionné par les enquêtes qu’il réalisait, même si, parfois, d’étranges  coups de téléphone anonymes le réveillaient la nuit. Il était marié à Ondine, charmante attachée de communication d’un groupe industriel important, était l’heureux père d’un bambin de dix- huit mois répondant au  prénom  médiéval de Loïs. Cet enfant était très beau, sûrement très intelligent aux dires de ses parents, mais il était doté d’un caractère difficile : tout était sujet à négociations et compromis, et le couple, parfois harassé par sa journée de travail, avait du mal à supporter les nombreux caprices de sa progéniture.
     Ne pouvant se résoudre à se recoucher, Gaspard s’approcha du petit lit où l’enfant s’agitait, battant le rythme de la musique plaintive. Le père était tiraillé entre le désir de rassurer l’enfant et la crainte de le réveiller. Ondine était en déplacement, et Loïs se trouvait donc le soir sous sa seule garde. Gaspard chantonna et la voix familière parut apaiser le petit. Le père se retira alors à pas de loup, et se rapprocha de la porte-fenêtre qui donnait sur la rue. Il mourait d’envie de descendre, de se détendre en faisant un tour dehors, de se rapprocher de cette musique qui le fascinait .Elle semblait faite pour lui et elle  traduisait  ses états d’âme inavoués ; elle était à la fois actuelle et venue du fond des temps. Un frôlement le fit sursauter, et il reconnut alors Mustapha, leur chat noir hiératique aux yeux de métal et d’agate. Gaspard entrouvrit la fenêtre, l’air un peu plus frais pénétra dans la pièce.
   La musique se fit alors plus insistante, et Gaspard ne résista pas à son désir de sortir. Il était équipé d’un talkie-walkie, et il disposa près du lit de Loïs une partie de l’appareil, attrapa son téléphone, sa clé et partit en veillant à refermer la porte d’entrée avec douceur.
  Une fois dehors, il tendit l’oreille pour se repérer et se dirigea rapidement vers le lieu d’où paraissait provenir la musique. Il pressait le pas, car il avait mauvaise conscience d’avoir ainsi laissé Loïs. On peut supposer qu’Ondine n’aurait pas apprécié ce comportement. Curieusement, au fur et à mesure de sa marche, les notes s’éloignaient de lui, reculaient hors de sa portée, lui échappaient en quelque sorte. Mais elles étaient toujours là et il entendait maintenant distinctement les percussions et les violons. Il connaissait cette mélodie, il l’avait déjà écoutée, mais il ne pouvait mettre un nom sur ce morceau. Il continua à marcher, suivant la rue des Docks, et sa marche nocturne le conduisit jusqu’à un hangar, sans doute promis à la démolition, dans lequel s’agitaient des êtres curieusement affublés de grands vêtements noirs. Il s’approcha sans crainte, car que pouvait-on redouter de musiciens ? La musique adoucit les mœurs, dit le dicton.
    Gaspard rentra dans le hangar sans que les musiciens attachent d’importance à cette irruption. La musique le pénétrait tout entier, et sa couleur sombre et nostalgique le saisit au plus profond de son être : il était transporté, comme s’il attendait ce moment depuis longtemps, lui, l’homme rationnel et curieux, il était comme hors de lui. Il reconnut alors un poème symphonique de Dvorak qu’il avait déjà écouté en concert, une vague histoire de sorcière et d’enlèvement, avec le caractère angoissant de l’arrivée de la Sorcière et les cris persistants de l’enfant.
     C’est à ce moment-là de la reconnaissance que Gaspard entendit les sirènes des pompiers et qu’il se retourna :au sud, une lueur rouge orangée éclairait la ville, et il vit des volutes de fumée se détacher sur ce fond d’enfer. Il partit en courant, se rappelant alors Loïs, seul dans son berceau, en proie aux démons de la nuit et peut-être aux flammes de l’incendie. Il courait, le cœur battant à tout rompre, tentant d’hurler comme une incantation le prénom de son fils. Mais il ne sortait de sa bouche que des vagissements sans force, épuisés et impuissants. Il sentait l’odeur du feu et il n’était plus qu’effroi et épouvante. Son angoisse montait crescendo et la musique qu’il continuait d’entendre s’accélérait, traduisant la violence de ce qu’il était en train de vivre.
  Il courait mais la rue était trop longue, les arbres défilaient, les poteaux se succédaient mais il lui semblait qu’il n’avançait pas, qu’il piétinait et son cœur bouleversé de père n’en pouvait plus. Il compta avec épouvante les douze coups de minuit, basculant alors dans la déraison la plus complète en se souvenant que c’était l’heure maudite de l’enlèvement de l’enfant par la sorcière !
  Son pied heurta alors un pavé mal scellé et, emporté par son élan, il ne put rétablir son équilibre et il tomba. Dans sa chute terrible, Gaspard eut un grand sursaut et, trempé de sueur, les tempes oppressées, les membres rompus, il se réveilla dans son lit.
  


jeudi 24 mars 2016

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson, Gallimard, 2011, livre de poche, 290 pages, Prix Médicis Essai 2011.****/*****

      Sylvain Tesson a choisi de séjourner 6 mois en Sibérie, entre février et juillet 2010. Il va tenir son journal d"ermitage", chaque mois étant caractérisé par un titre. Il s'était promis d'effectuer ce séjour avant ses 40 ans.
       Muni de tout ce qu'il faut pour survivre dans des conditions extrêmes d'isolement, de froid, Sylvain T. rapporte ce qu'il fait mais aussi ce qu'il pense, et c'est cela qui nous intéresse au premier chef.
       J'ai lu avec intérêt la liste des ouvrages qu'il avait emportés... mais je vous livre quelques unes de ses remarques qui m'ont interpellée:
8 avril
      "J'archive les heures qui passent. Tenir un journal féconde l'existence. le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux événements  de la journée à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément."
 15 mai
      " La cabane est le wagon de reddition où j'ai scellé mon armistice avec le temps: je suis réconcilié. La moindre des politesses est de le laisser passer."
1er juin (cette remarque m'a fait sourire!)
       " Géographie amoureuse: je préfère les plages de galets où grelottent des gens en pull de laine aux friteuses de sable couvertes de corps huileux."
3 juin (une citation faite par S.T.)
         "Si votre quotidien vous parait pauvre, ne l'accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous toutes ses richesses." Rainer Maria Rilke.

      Le style de Tesson est toujours aussi intéressant: son récit se lit "comme un roman" et je suis toujours interpellée par ce" personnage" haut en couleurs!


  Si vous n'avez pas lu Bérézina, n'hésitez plus!

jeudi 17 mars 2016

Manderley for ever, Tatiana de Rosnay, 2015, éditions Albin Michel/Héloïse d'Ormesson, 437 pages. ****/*****

      Biographie de Daphné du Maurier, Manderley for ever nous entraîne dans l'univers si particulier de cet écrivain.
       Daphné va aimer certains lieux intensément et ils seront nécessaires à son inspiration. Manderley n'est pas une demeure de l'auteur, mais celle d'une de ses créatures, Rebecca, héroïne éponyme d'un roman "ouragan": 40 000 exemplaires en un mois. D. du Maurier a loué une maison qui  ressemble un peu à Manderley: Ménabilly, en Cornouailles, qui va être le lieu de son inspiration.
     Comme Virginia Woolf, elle ressent le besoin d'un lieu à soi pour écrire, pour se retrouver. Je vous renvoie à l'essai de cet auteur a Room of one's own , paru en 1929, traduit par Clara Malraux en 1965 sous le titre Une chambre à soi,  et dont Marie Darrieussecq nous propose une nouvelle traduction sous le titre Un lieu à soi,(16/01/2016).
     J'ai aimé cette biographie écrite au présent car la romancière est attachante, combative, originale pour l'époque. Tatiana de Rosnay nous retrace son existence et donne vie à son oeuvre de manière enlevée; il est certain qu'elle a effectué de véritables investigations et qu'elle s'est prise d'affection pour Daphné du Maurier, sa famille, son père, acteur, son grand-père écrivain...
  1. www.babelio.com/livres/De-Rosnay-Manderley-forever/691730
  2. vous pourrez y trouver d'autres commentaires et critiques: j'attends vos avis éclairés!
  3. https://www.facebook.com/lapucealoreille.ecully: allez voir la page facebook de cette jolie boutique qui propose beaucoup de jeux soigneusement sélectionnés et un choix pertinent de livres pour la famille, dont Manderley for ever.