jeudi 26 mai 2016

Dans la nuit de Daech, Confession d'une repentie, Sophie Kasiki, avec Pauline Guéna, Robert Laffont, 2016, 236 pages.

         Quelques jours avant la fête des mères, je ne peux commencer cet article sans citer la phrase en exergue du livre: "Si ma mère avait vécu plus longtemps,toute mon existence, j'en suis sûre, aurait été différente. Mais elle m'a quitté trop tôt et m,a laissé avec ce cœur inutilisé qu'aucun homme, aucune femme, n'a jamais pu remplir." En attendant la montée des eaux, Maryse Condé: belle célébration des liens mère-fille...

         Ce témoignage se dévore: la narratrice, Sophie, jeune Camerounaise née en 1981, chrétienne, mariée et mère d'un petit garçon prénommé Hugo, relate sa vie en narrant son enfance heureuse pendant neuf ans avant la mort de sa mère. Elle ne se remet pas de ce deuil précoce même si elle dit avoir été sauvée par ses nièces dont elle s'est beaucoup occupée.
         Elle devient éducatrice spécialisée et, dans ce métier qui la tourne vers les autres, elle retrouve des souvenirs de sa mère. Elle se dit "qu'elle serait fière de moi". (p.26) Elle rencontre Julien, est assez rapidement enceinte, a apparemment tout pour être heureuse. Mais de façon pernicieuse, la tristesse de son enfance est toujours là.
         
           Sophie travaille dans une maison de quartier et elle rencontre les familles issues de l'immigration nord et ouest-africaine. Elle a un excellent contact avec les mères, et également avec ceux qu'elle va appeler "les petits". Progressivement l'islam va prendre la place de la religion de sa mère, "musulmane d'abord dans le secret. C'est une démarche profonde, intime, [...]"(p.37) Elle finit pas se convertir dans le plus grand secret et Julien l'apprendra par hasard. Le fossé s'élargit entre eux deux.
          E t puis, trois des "petits", Idriss, Mohammed et Souleymane,  partent un jour pour la Syrie sans qu'il y ait eu de "signes de radicalisation" (p.55). C'est bien sûr l’effondrement dans les familles.
Ils vont contacter Sophie qui va partir avec Hugo sous le prétexte de travailler comme bénévole dans un orphelinat en Turquie. Mais leur voyage ne s'arrêtera pas là...

      C'est dans doute l'amour maternel qui va aider Sophie à surmonter toutes les épreuves rencontrées en Syrie et lui donner l'audace et le courage de la fuite.
       Ce témoignage rejoint tous les échos que l'on peut avoir dans la presse ou les différents médias: sans sombrer dans la psychose, il nous redit la nécessité de la vigilance et l'urgence de l'action, chacun à sa place.


vendredi 20 mai 2016

Odyssées.... d'hier et d'aujourd'hui



  A première vue, il n'y pas grand chose en commun entre ces deux ouvrages: l'un est un "classique" du VIIème siècle av. J.C. que l'on ne présente plus, dans une traduction versifiée par un grand poète contemporain, Philippe Jaccottet, à l'immense culture humaniste..

  L'autre est le récit des aventures réelles et  proches de nous dans le temps d'un  jeune garçon de 11 ans, né hazara, ethnie persécutée en Afghanistan ; il est livré à lui-même car sa mère espère lui sauver la vie en l'abandonnant de l'autre côté de la frontière, au Pakistan. Durant 5 ans,  il va parcourir l'Iran, la Turquie, la Grèce pour aboutir en Italie. Un éducateur italien s'est intéressé à lui et a recueilli son témoignage, hors du commun. On peut se dire qu'Enaiat a eu "beaucoup de chance", car il a échappé lors de son périple à la prostitution, la torture ou la mort... comme Ulysse avait échappé à la noyade, à la transformation en pourceau, à la mort de multiples fois...

   Le point commun, vous l'avez deviné, c'est qu'il s'agit dans les deux cas du" récit d'un voyage rempli d'aventures". (définition du mot odyssée dans le petit Robert)

  L'Odyssée d'Homère est sous-tendue par une règle de vie: votre valeur humaine se mesure à votre capacité à recevoir l'autre, à accueillir l'autre. Il s'agit aussi d'un véritable hymne à la famille.
  L'odyssée narrée par Fabio Geda relate sans amertume les péripéties du petit Enaiat qui garde en mémoire les trois recommandations de sa mère: ne pas prendre de drogue, ne pas utiliser d'armes, donc ne pas tuer, et ne pas voler: "Tu gagneras l'argent dont tu as besoin en travaillant, même si la tâche est pénible. Tu n'escroqueras personne non plus. Tu te montreras accueillant et tolérant envers tous. Promets- moi que tu le feras." (p.12). il s'agit bien d'un testament!

  Le style homérique est caractérisé par ses images; l'une des plus célèbres est celle-ci:"la fille du matin, l'aube aux doigts roses"mais nous pouvons citer également Nausicaa, "la princesse à figure d'Immortelle", "la princesse aux bras très blancs".
 Dans la mer il y  a des crocodiles ne vise pas les effets rhétoriques mais nous touche grâce à la personnalité du jeune héros.


jeudi 12 mai 2016

Mirage, Douglas Kennedy, 2015, Belfond, 426 pages.

   Après la lecture du roman D'après une histoire vraie, et surtout après celle du livre si émouvant L'été d' Agathe, j'ai vraiment eu besoin et envie de lire quelque chose de plus léger, de tellement fictionnel que l'on y respire mieux!

  Et pourtant les romans de Douglas Kennedy ne sont pas de tout repos...que ce soit L'homme qui voulait vivre sa vie (1998), adapté au cinéma par Eric Lartigau avec Romain Duris dans le rôle titre, ou La femme du Vème (2007) ou encore Piège nuptial paru en 2008, ses ouvrages ne sont pas de longs fleuves tranquilles! Mais le suspense fait partie du charme de ce type de roman.

 L'américain Douglas Kennedy plante l'essentiel de son intrigue au Maroc, avec Essaouira et sa plage, le Sahara et son désert étouffant, Marrakech et Casablanca. Le couple de personnages Paul Leuen et la narratrice Robyn, mariés depuis trois ans, la quarantaine,  font ce voyage au Maroc semble t-il un peu "par hasard". Mais le lecteur découvrira bientôt que Kennedy a plus d'un tour dans son sac et que le titre du roman, Mirage, est judicieux.

Dans ce type d'oeuvre, il ne faut pas trop en dire pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur grâce aux surprises des rebondissements. C'est un bon divertissement: l'écriture est fluide et l'on avale les 400 pages sans problème!



jeudi 5 mai 2016

L'été d'Agathe, Didier Pourquery, Grasset, 2016, 193 pages.

   Didier Pourquery est journaliste et a été rédacteur en chef de plusieurs titres de presse, dont  Libération et Le Monde. Il a déjà publié des essais et un roman, mais ce livre est bien autre chose.

  Je suis sortie très émue de cette  lecture : D. Pourquery a perdu une fille, Agathe, il y a sept ans.
Elle était atteinte de  mucoviscidose et allait avoir 23 ans. Au milieu d'une fratrie de trois sœurs, elle avait des liens particuliers avec son père: "Comment lui expliquer durant toutes ces années, parmi toutes mes avanies, aventures et hésitations, elle est restée mon point fixe?Comment lui dire sans pathos qu'elle a été ma boussole? Cette partie de moi, irréductible, qui me faisait tenir debout aux pires moments de dépression."(p.100-101)

  Il lui a fallu 7 ans pour pouvoir écrire sur sa fille, l'évoquer, narrer son chemin de petite fille , d'adolescente pressée de vivre, de jeune adulte très clairvoyante et courageuse. "Lui dire comment je vais. Elle le sait bien. Quatre infarctus, un cœur encore faible et une déprime toujours en embuscade; pour le reste, c'est son style: elle passe de la plus bienveillante tendresse, des déclarations les plus émues aux agressions les plus dures. Dès qu'elle a senti sur elle, préadolescente, la morsure continue de la maladie, la routine pesant des soins, elle a oscillé entre ces deux attitudes.[...]Elle exagérait, parce que sa vie même exagérait." (p.159)

   Il reprend ses notes, les lettres, les photos et restitue sa fille  de manière poignante, sans doute pour lui-même, lui qui est "orphelin de sa fille", et pour nous, lecteurs saisis.

  Ce livre est une déclaration d'amour à son enfant toujours présente en lui: "Il y a tellement de choses que je voudrais te dire ce soir, mon Agathe. Je vais les écrire dans un livre, ça me fera du bien de te les raconter dans un livre...de te raconter." (p.193) Ces derniers mots du livre datent de 2007, il aura fallu tout ce temps à ce père pour mettre des mots sur la vie si brève d'Agathe et leurs vies bouleversées.

  Je disais que j'étais émue par ce livre: le sujet est d'une infinie tristesse, même si Didier Pourquery évite le pathétique et le mélo. Il nous restitue un beau portrait que je garderai en  mémoire.


jeudi 28 avril 2016

Ce qu'il advint du sauvage blanc, François Garde, Gallimard, 2012, folio, 381 pages.

   Voici un roman qui relève comme Room (article du jeudi 14  avril) du concours crocqu'en livres, choix de fictions écrites d'après des histoires vécues! Celle -ci est également loin d'être banale.

    Narcisse Pelletier, jeune mousse breton, est abandonné par son équipage sur une île australienne dans des circonstances peu claires. Il y restera 17 ans! Quelle angoisse que cet abandon!

     "Alors, il découvrit qu'il était seul. Il poussa un hurlement, qu'aucun navire ne pouvait entendre. Incapable de penser, fébrile, il fut comme pris de folie: il descendit la falaise à toute vitesse, dérapant, griffé, manquant deux fois se rompre le cou, sauta sur le sable, dévala l'estran, entra dans l'eau jusqu'à la poitrine pour se rapprocher autant qu'il était possible du bateau enfui et hurla de nouveau, cri de rage et appel au secours. Son appel était aussi inaudible depuis la mer que depuis la falaise. Lorsqu'une vague vint lui mouiller le cou, il recula, les yeux fixés sur le large." (pages 13-14)

        L'île n'est pas déserte et il va vivre  au milieu d'une tribu, jusqu'à l'arrivée d'un autre bateau, le John Bell, qui le ramène à Sydney. Il est alors pris en charge par un jeune scientifique français qui va tenter de nouer le contact avec celui qu'on appelle "le sauvage blanc".Il lui faudra déployer des trésors de patience et d'ingéniosité pour établir un dialogue avec cet homme qui a perdu le langage et très curieusement ne semble pas reconnaître sa langue maternelle. "Le cas d'un jeune homme blanc, devenu complètement sauvage, oubliant complètement ses origines, semble sans exemple."(p.272) Le retour à une vie normale parait impossible.

   L'autre protagoniste du roman, le scientifique français,  est Octave de Vallombrun, cet homme qui va passer dix ans de sa vie à tenter de percer le mystère qui entoure "le sauvage blanc" et s'attacher à son protégé qu'il tentera de rendre à sa famille, à son pays, à sa culture.

  Ce roman est touchant et intéressant par toutes les questions qu'il soulève. Montaigne, trois siècles avant Octave de Vallombrun , s'était déjà interrogé à propos des Cannibales  (Essais, I, 31) et avait abouti à cette conclusion:"chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage".

   François Garde a reçu en 2012 pour cet ouvrage le prix Goncourt du premier roman et le prix Jean Giono, distinctions amplement méritées pour l'intérêt de l'intrigue et la qualité du style.



jeudi 21 avril 2016

Comédie,ça a débuté comme ça, Fabrice Luchini, Flammarion, 2016.***/****

   L'acteur  nous raconte quelques souvenirs, quelques amours littéraires, c'est -à-dire ses textes préférés, à savoir Céline bien sûr, mais aussi La Fontaine, Molière et surtout son Misanthrope (pensez donc à Alceste à bicyclette!), ou encore Rimbaud et Le Bateau Ivre avec lequel il se collette, qu'"il aborde comme une langue étrangère".(p.139)  Le texte de cet ouvrage est aussi rapide que le flux de notre comédien: il ne s'agit pas de grande littérature, mais de traits d'un homme plein d'esprit. Le comédien s'entend d'ailleurs derrière les phrases alignées sur le papier. Quel amour de la langue et des mots!
  Si vous l'avez regardé "faire son cinéma" à La Grande Librairie, vous retrouverez bien le ton du livre. Amusant certes, mais sans doute un peu affecté parfois comme son auteur?
Avez-vous vu L'Hermine? excellent film et Luchini y est au mieux de sa forme.

L'omelette au sucre, Jean-Philippe Arrou-Vignod, octobre 1999, Galiimard jeunesse, folio junior.

    Une fois n'est pas coutume, voici un petit ouvrage destiné aux enfants à partir  de huit ans: vous avouerais-je que j'ai passé un très bon moment en compagnie de cette tribu de garçons dont les aventures sont narrées par le cadet, Jean-B?
     Une famille "normale", mais beaucoup d'humour et de légèreté: on assume ses bêtises et avec cinq garçons, on ne s'ennuie pas!
     Quelques illustrations ponctuent la lecture sans en briser le fil. Nul n'est besoin d'être un grand lecteur pour savourer ces chapitres!

babelio: l'omelette au sucre