Roman foisonnant, à la fois poétique et violent, clair et rempli d'ombres.
L'intrigue est à la dimension du paysage d'Haïti où vit une famille de paysans, les Lafleur, dans un petit village Anse Bleue. Le lecteur va suivre cette famille sur trois générations.
Le début du roman et son épilogue se répondent. Écrits tous deux en italiques, ils transmettent la voix la plus récente, celle d'une jeune femme violentée retrouvée sur la plage. Elle évoque ses derniers instants et son retour sur une civière jusqu'à la case familiale.
Je ne peux épuiser la matière du livre. J'ai relevé entre autres les liens fortement entrelacés entre les morts et les vivants ("visibles" et "invisibles"), l'amalgame ou la coexistence chez certains de croyances diverses (catholicisme/animisme): "aller en mer, c'est connaître l'heure du départ, mais jamais celle du retour, car seuls Agwé et Dieu savent." (p.143). Bien sûr, ce roman antérieur à Danser les ombres de Laurent Gaudé m'a rappelé ce livre avec l'évocation de la nécessité de "perdre" les morts pour leur éviter de "revenir nous visiter"(p.199). De même, la jeune morte se plaint car"Anse Bleue fera tout pour que je ne rôde plus dans les alentours. Pour que tous puissent très vite penser à moi sans être aspirés de l'autre côté..."
Un mot néanmoins sur les descriptions de cet univers en prise au soleil "A peine soutenable à cause de la barre étale de la mer. Qui renvoyait la lumière comme pour condamner la terre au feu" (p.47): ceci évoque les plages de L'Etranger et la brûlure insoutenable du soleil, l'aspect implacable du climat et de la nature. Mais le titre Bain de lune évoque aussi sans doute ce que vivra la jeune femme...
L'auteur(e) dresse aussi à travers les trajectoires des personnages le tableau des difficultés politiques de cette terre si troublée.
Très beau roman, dense et fort. Prix Femina 2014
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